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Full text of "Essai sur le culte et les mystères de Mithra [microform]"

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MYSTÈRES DE MITHRA 



PAR 






Af^GASQUET 

RECTEUR DK l'ACADÉMIE DE NANCY 




PARIS 



1^ ARMAND COLIN ET C^% ÉDITEURS 

H 5, RUE DE MÉZIÈRES, 5 ^ 

J899 . 
Tous droits réservés. 



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AVANT-PROPOS 



C'est une disgrâce fâcheuse pour cet humble et 
modeste Essai, composé, et, à quelques retouches 
près, écrit depuis deux ans, que de paraître 
juste au moment où se publie l'admirable et 
magnifique ouvrage de M. Franz Cumont sur les 
Mystères de Mithra. Aussi ma première pensée 
fut-elle de garder dans mes cartons ces pages , 
fruit cependant de longues recherches. Des amis 
m'en ont détourné, jugeant qu'en un sujet si 
complexe et où la conjecture tient encore tant de 
place, une vue personnelle et indépendante 
pouvait avoir son intérêt et son utilité. 

A. G. 



ESSAI SUR LE CULTE 



ET 



LES MYSTÈRES DE MITHRA 



Le culte et les mystères de Mithra s'introdui- 
sirent à Rome, à l'époque oii la République à son 
déclin, après avoir réalisé l'unité du monde ancien 
aux dépens des patries particulières, était mûre 
déjà pour la domination de César. De tous les 
points du bassin oriental de la Méditerranée, 
pacifié et asservi, d'Egypte, de Syrie, de Perse et 
de Chaldée, commençaient à affluer A^ers la capitale 
les ■ cultes orientaux et les superstitions étran- 
gères. Cybèle et Isis avaient ]Drécédé Mitbra. Au 
temps de Cicéron et de Jules César, la colonie juive 
avait pris assez d'importance pour préoccuper les 
hommes d'État et inquiéter le pouvoir. Bientôt, 
à la suite de ces Palestiniens et d'abord confondus 
avec eux, les premiers disciples du Christ, précé- 
dant l'apôtre Paul, vont aborder aux ports ita- 
liens et prendre pied sur ce sol, où, quatre siècles 
plus tard, l'emblème de la croix couvrira l'empire 

Gasquet. — Millira. 1 



2 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRÀ. 

de son ombre. Il semble que toutes ces religions 
d'Orient aient, dès lors, l'obscur pressentiment que 
l'unité politique prépare la voie à l'unité morale 
et que dans cette ville, abrégé de tous les peuples^ 
rendez-vous de toutes les croyances et de toutes les 
superstitions, va s'élaborer la crise religieuse qui 
doit donner au monde un Dieu universel. C'est en 
vain que les pontifes et les empereurs essaient 
d^opposer une digue à cette invasion, qu'ils multi- 
plient contre les nouveaux venus les précautions 
législatives, et qu'ils consignent dans les faubourgs 
de la banlieue ces dieux étrangers. Le flot déborde 
tous ces obstacles, et bientôt par la lassitude et 
avec la complicité des pouvoirs publics, les cultes 
nouveaux parviennent à s'implanter dans l'enceinte 
sacrée et sur les sept collines. 

Les temps étaient propices pour la propagande 
de ces étrangers. La vieille religion officielle se 
mourait au milieu de l'indifférence générale. A bout 
de seye, elle avait perdu toute prise sur les âmes, 
toute action sur les consciences. Il n'en restait que 
les rites, la liturgie, les gestes extérieurs. Cette 
mythologie fripée n'imposait plus même aux 
enfants et aux vieilles femmes. Condamnée déjà 
par Platon et par les philosophes, au nom de la 
morale, elle était un objet de dérision pour ceux-là 
mêmes qui acceptaient et recherchaient les sacer- 
doces publics. Tandis que le paysan italien restait 
encore fidèle à ses divinités locales, rustiques et 
familières, dont il ne se défit jamais complète- 
ment, la société des honnêtes gens et des lettrés ne 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 3 

comptait guère que des athées comme César et 
Lucrèce ou des platoniciens comme Cicéron et 
Virgile. Les aventures des dieux ne servaient plus 
que de matière aux vers ingénieux des poètes, de 
thèmes plastiques aux sculpteurs et aux peintres, 
de sujets pour les tableaux vivants, obscènes ou 
sanglants, de la scène et de l'amphithéâtre. Scenam 
de cœlo fecistis, écrivait avec raison un des plus 
fougueux adversaires du paganisme. Ces dieux pour- 
tant, malgré le discrédit qui les atteint, continuent 
à être invoqués jusqu'à la fin du paganisme ; on leur 
rend les mêmes honneurs ; on leur fait les mêmes 
sacrifices. Mais les mêmes noms recouvrent des 
conceptions bien différentes ; le sens qui s'attache 
à ces dénominations vieillies s'est modifié en même 
temps que le sentiment du divin. Pour certains théo- 
logiens, les anciens dieux sont réduits à la condi- 
tion de démons subalternes qu'on relègue dans les 
astres ou qui circulent, messagers invisibles, entre 
ciel et terre ; pour d'autres, ils prêtent leur person- 
nalité méconnaissable aux abstractions de la théo- 
sophie ^lexandrine (1). 

On a souvent reproché aux apologistes chrétiens 
les procédés faciles de leur polémique contre le 
paganisme, et l'étalage copieux et indiscret oii ils se 
sont complu des méfaits de ses dieux. En réalité les 
chrétiens n'ont fait que suivre l'exemple qui leur 



(1) Les belles et savantes études de G. Boissier : la Religion 
romaine sous les Antonins et de Réville : la Religion sous les Sé- 
vères, me permettent de n'insister que sur les points essentiels 
de cette question. 



4 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

était donné par les païens eux-mêmes. Ceux-ci ne 
cachent pas leur honte et leur mépris pour ces divi- 
nités entremetteuses qui sollicitent tous les bas 
instincts de la nature humaine par l'exemple de leur 
impudicité. Le peuple n'entrait pas, comme le phi- 
losophe, dans l'interprétation symbolique des 
mythes ; il n'en retenait que l'expression figurée et 
qui frappait ses sens. Le jeune homme de Térence 
s'autorisait des adultères de Jupiter pour excuser 
ses entreprises de séduction. Par lui-même le paga- 
nisme n'a été capable d'enfanter ni dogme ni mo- 
rale (4) ; il est indifférent par essence, n'étant que la 
glorification des forces naturelles et la traduction 
mythique de ces énergies en action. Certes, quel- 
ques intelligences d'élite, à travers la beauté, étaient 
capables de sentir le divin ; mais l'esthétique sera 
toujours une base fragile pour édifier une morale. 
D'une manière générale, on peut affirmer que la 
moralité et la vertu, qui certes ne firent pas défaut 
au monde antique, vinrent d'ailleurs, fondées sur 
des conceptions puisées à des sources toutes dif- 
férentes. 

A cette impuissance du paganisme à formuler les 
règles d'une morale populaire, il faut joindre les 
effets désastreux du socialisme d'Etat (on peut lui 
donner ce nom), tel qu'il fut pratiqué par les empe- 
reurs. On doit se représenter le prolétariat des 
grandes villes, presque entièrement entretenu et 
nourri aux frais du trésor, déshabitué du travail, 

(1) Aristote, comme d'ailleurs Socrate, séparent comme deux 
choses distinctes la religion et la morale. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITURA. 5 

récréé dans les thermes, corrompu par les spec- 
tacles, çamené aux instincts les plus bestiaux de la 
sauvageri.e .primitive, par les tueries de l'amplii- 
théâtre. On n'a rien trouvé de mieux pour engourdir 
ses fureurs et ses goûts d'émeute, pour le dédom- 
mager de la confiscation des libertés publiques. 
Sevré^dfô agitations de la politique et du souci gé- 
néreux de la patrie qu'il n'a plus à défendre, exclu 
de la religion officielle, qui est un privilège de 
l'aristocratie, il ne lui reste rien pour alimenter et 
satisfaire les besoins supérieurs de sa nature, 
latents dans toute âme humaine. Autour de lui, la 
richesse du monde entier aboutit à la jouissance 
scandaleuse de quelques-uns. Jamais l'égoïsme n'a 
été plus triomphant ni plus avide, la société plus 
méchante aux petits et aux humbles, la vie plus 
précaire et plus avilie, que dans le siècle qui suivit 
l'établissement de l'empire. Mais en même temps, 
cette détresse qui exaspère la dureté des uns, 
tourne chez les meilleurs en attendrissement, et les 
âmes, amollies par la souffrance ou brisées par 
l'épouvante, s'ouvrent soudain à la pitié. 

Afin de répondre à ces besoins qu"il soupçonne, 
Auguste,' plus par esprit de gouvernement que par 
piété — car il partageait l'incrédulité de son temps 
— avait imaginé de toutes pièces une réforme reli- 
gieuse. Agrandissant à la mesure du monde con- 
quis le culte de la Cité-Reine, il fonda la religion de 
l'État, conçu comme une divinité. Dans toutes les 
provinces, par ordre, s'élevèrent des temples en l'hon- 
neur de Rome et d'Auguste ; partout se multi- 

i. 



•6 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITDRA. 

plièrent les collèges et les sacerdoces, et dans les 
carrefours on proposa à l'adoration populaire les 
Lares nouveaux. Cette religion administrative, 
froide et glacée, et qui nous paraît, avec notre ma- 
nière de sentir, comme le rêve de bureaucrates en 
"délire, n'eut que le succès qu'elle méritait. Elle sub- 
sista par la docilité et la crainte, recueillit l'em- 
pressement officiel des fonctionnaires, et suscita 
l'émulation des courtisans ou des provinciaux en 
•quête de sacerdoces lucratifs. Elle n'eut pas, elle 
ne pouvait avoir les cœurs. 

Plus efficace fut l'action de la philosophie 
grecque, surtout du stoïcisme, qui, transplanté à 
Rome, devint vraiment pour ses adeptes une disci- 
pline morale. Pendant les persécutions qui sévirent 
sur l'aristocratie romaine, il a formé quelques-uns 
des plus beaux caractères qui aient honoré l'huma- 
nité. Il prit, sous les Antonins, l'allure et la forme 
d'une religion et prétendit par ses missionnaires et 
ses prédicateurs à la direction des consciences. 
Mais lui-même était voué à la stérilité. Même dans 
le plus élevé et le plus honnête des ouvrages qu'il 
ait inspirés, dans les Mémoires de Marc-Aurèle, 
règne l'incertitude dogmatique la plus déconcer- 
tante. Le pieux empereur, dans sa sublime sincérité, 
n'ose affirmer ni l'existence des dieux, ni l'immorta- 
lité de l'àme. Le précepte, auquel il revient sans 
•cesse, s'adapter à l'harmonie universelle, se sou- 
mettre à l'ordre et aux lois éternelles de la nature, 
peut bien être en définitive le dernier mot de la sa- 
gesse humaine ; mais il est de peu d'usage dans la 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 7 

pratique de la vie, et suppose d'ailleurs, en dehors 
des nécessités inexorables et élémentaires attachées 
à la condition mortelle, une connaissance de ces 
lois, de cet ordre, de cette harmonie, qui échappait 
aux contemporains de Marc-Aurèle, et sera l'éter- 
nel postulat dé la science humaine. La prescription 
suprême de cette philosophie, « faire le bien quand 
même », quelle que soit notre ignorance des fins de 
l'homme et le but du cosmos^ semble bien le cri 
d'un optimisme désespéré. Rien ne convenait moins 
aux multitudes, qui ont besoin d'une foi, qui vivent 
d'espérance et souvent d'illusions. 

Le peuple en effet entendait d'autres voix, allait 
à d'autres maîtres. L'absence de toute certitude 
dogmatique le jetait en proie à toutes les crédulités. 
. Jamais le monde n'a vu pareil débordement de su- 
perstition, pareille orgie de surnaturel ; jamais 
tant de devins, de charlatans, d'augures, d'astro- 
logues, de vendeurs de recettes pieuses et d'amu- 
lettes, n'ont capté des esprits plus avides et plus 
faciles à duper. La grossière supercherie d'Alexandre 
d'Abonotique et de son dieu-serpent pouvait se 
renouveler tous les jours sans risque de décourager 
l'empressement des dévots. L'espace se peuplait de 
démons et de génies dociles aux incantations. Les 
plus hauts esprits se laissent gagner par cette con- 
tagion et ceux qui se targuent le plus de leur incré- 
dulité marquent par quelque endroit qu'ils en ont 
leur part. Mais cette folie même est le signe d'un 
travail intérieur, d'une fermentation spirituelle, 
d'uneattente. Des préoccupations nouvelles assiègent 



8 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRÂ. 

les esprits et s'en emparent; des mots nouveaux 
ciculent. On les entend dans les réunions secrètes, 
dans les associations des humbles ; on les retrouve 
gravés sur la pierre des tombeaux. Conscient de 
sa faiblesse, incertain de sa destinée, troublé par 
l'inquiétude de la mort, l'homme, au milieu des 
ténèbres qui l'enveloppent, sent sa détresse ; il 
implore un iS'a^^î;e^«' qui le guide dans la vie, l'assiste 
à l'heure suprême et soit son médiateur au delà de 
la tombe. Il lui demande le chemin du sahit et le 
secret de "la vie bienheureiise (1). Il souffre de la 
tare du péché ; non pas seulement de cette dé- 
chéance de la dignité personnelle qui résulte du 
sentiment de la faute commise ; mais de cette souil- 
bure radicale et foncière qui vient de l'infirmité 
originelle de l'homme. Pour la laver et l'effacer, il 
a recours aux lustrations, aux expiations connues 
et il en invente de nouvelles. Pour l'atteindre à sa 
racine et le plus près possible de son origine, 
l'usage se répand des initiations précoces et mul- 
tipliées. Des enfants sont initiés en bas âge aux 

(1) Sur le sens mystique et eschatologique que prennent ces 
mots de o-wTr,p et de o-tùTYipta, voir G. Aniich : Dus anlike Myste- 
7'ienwesen, chap. lu, 3, et G. Wobbermin : Rnligiongeschicluliche 
Studien, 189G ; les deux vers fameux des mystères cités par Fir- 
micus Materuus : De err. prof, relig., 22 : 

GapçEÏTE, (lu erra;, ■roù' Oeou (TsacoijjJilvou ; 
"E,a-a.: Y^J ûnïv èx ■nôviav ffutïjçîo, 

A rapprocher les passages d'Apulée : Méiam.,W : « Nam et infe- 
rum claustra et Sululis tutelam in dei manu posita, ipsamque 
iràdilioriem ad instar voluntariiE mortis et prccarix sahdis cele- 
brari », cliap. xxi; « Ad nova reponere l'ursus saluHs curri- 
ciila », chap. v. 
Lir. nombr. Inscr. : Pro Sainte, Pro incolumilate animée. 



ESSAI SUR LE CULTE ET "LES MYSTÈRES DE MITHRA. 9' 

mystères de Samothrace et de Liber, et même à 
ceux d'Eleusis (1). L'initiation a cette vertu d'abolir 
l'homme ancien et de le faire i^enaître do son vivant 
à une vie nouvelle. Ce terme de renatus, qui se 
rencontre dans saint Paul et dans l'évangile de Jean 
et qui exprime la situation du chrétien libéré du 
péché, se lit sur la pierre des inscriptions mystiques 
du paganisme, et dans le même sens et avec la même 
acception, dans le onzième livre des Métamorphoses 
d'Apulée (2). 

Ces idées datent de fort loin ; elles viennent 
directement de Pythagore, des Orphiques, des mys- 
tères ; surtout de ceux d'Eleusis. Ils avaient été la 
grande école do moralité du monde grec. Le siècle 
qui finit avec Périclès et qui suffit à illustrer pour 
jamais le nom d'Athènes, en avait été tout pénétré. 
Plus tard la vogue des mystères s'était ralentie et 
l'enseignement de la philosophie avait pris sa place^ 
laissant au peuple les rites discrédités des expiations 
et des lustra tions familières. Il leur empruntait 
.cependant et leur phraséologie spéciale et le plus 
pur de leurs doctrines. Pour Platon, la philosophie 
est ime initiation et le moyen de salut par excel- 
lence ; elle mène seule les âmes à l'époptie, c'est-à- 
dire à la contemplation du premier principe et à 
la vision de Diçu ; pour ses successeurs, qui ren- 
chérissent sur son enthousiasme, la connaissance 

(1) Voir les textes réunis par G. Anrich, op. cil., p. 55. 

(2) Apulée : Mé/am., lib. XI, cap. 16 et cap. 20 : « Ter beatus qui' 
vitae scilicet praecedentis innocentia fideque meruerlt tB.m prœcla- 
rum de cœlo patrocinium, ut renatus quodammodo sacrorum 
obsequio desponderetur. » 



40 ESSAI SÛR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

est un mystère, mie orgie céleste ; le philosophe 
un mystagogue et un hiérophante ; le fruit de la 
connaissance est la f/nose, c'est-à-dire, la vérité. Et 
voici qu'a plusieurs siècles d'intervalle, à la faveur 
du désarroi croissant des consciences, les mêmes idées 
et avec elles les mêmes expressions apparaissent de 
nouveau ; leur tradition conservée dans l'âme popu- 
laire s'impose à la philosophie qui les avait refou- 
lées ; peu à peu elles dominent tous les esprits. 

Les religions orientales profitent presque seules de 
ce mouvement. Non seulement elles ont conservé 
le dépôt des révélations premières ; plus rapprochées 
des origines et de ces temps fabuleux où l'homme 
vivait dans la familiarité des dieux, elles savent les 
prières, les formules, les mots qui agissent sur la 
divinité et la forcent à répondre ; mais par leurs 
pratiques, l'appareil de leurs cérémonies, la mise en 
scène de leurs initiations, elles s'entendent autre- 
ment que les religions- officielles, à troubler les 
âmes, à secouer les sens, à faire jaillir des cœurs la 
source longtemps fermée de l'émotion religieuse. 

De toutes ces religions concurrentes, laquelle 
allait donner au monde le Dieu universel qu'il 
attendait? Le judaïsme, qui avait joui un instant 
d'une extraordinaire faveur et qui l'avait méritée 
parla simplicité grandiose de son dogme et la pu- 
reté de ses mœurs, se met de lui-même hors de 
cause, lorsque après la ruine de Jérusalem et la dis- 
persion, il renonce à la propagande et se cantonne, 
tout à ses rêves de revanche messianique, dans la 
citadelle de son Talmucl. Le charlatanisme et l'im- 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITORA. 1* 

pudence de ses galles finissent par discréditer le culte 
de Gybèle, qui ne dure qu'à l'état de basse super- 
stition populaire, ayant d'ailleurs prêté à d'autres- 
cultes ses rites de purification et de rénovation (1). 
' Restent donc les deux religions d'Isis et de Mithra, 
qui se maintiennent jusqu'au v" siècle. Mais la 
première, toute amollie de tendresse féminine et 
de maternelle douceur, convient mal pour lutter 
contre l'ennemi commun, le christianisme, dont 
l'extraordinaire progrès menace d'une ruine com- 
mune tous les dieux étrangers. Elle cède le pas au 
culte de Mithra, religion de combat autrement vi- 
rile et sévère et qui, dès la fin du ni" siècle, a fini 
par absorber en elle et à résumer le paganisme du 
dernier âge. Elle balance, en effet, un moment, lafor- 
tune du christianisme : « Le monde, a écrit Renan, 
eût été mithriaste, si le christianisme avait été ar- 
rêté dans sa croissance par quelque maladie mor- 
telle. » 

Cet antagonisme fait l'intérêt principal d'une 
étude de mithriacisme. Cependant elle a peu tenté 
les érudifcs. Lb, curiosité est allée de préférence à 
d'autres formes religieuses, à celles surtout qui ont 
exprimé l'âme d'un peuple, d'une race, d'une civi- 
lisation. Le mithrianisme n'a pas eu cette fortune. 
C'est une religion composite, constituée des élé- 
ments les plus divers, qui s'est adaptée aux milieux 
les plus différents. Moins originale, elle doit à cette 
faculté d'adaptation, le caractère d'universalité qui 

(1) De imysteriis, chap. nr. 10. 



liî ESSAI SUR. LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITflRA. 

a contribué à son succès. Ajoutons que l'étude en 
est des plus malaisées, surtout avant que ne fus- 
sent dissipées les ténèbres, qui entouraient les langues 
et les religions des pays où le culte de Milhra prit 
naissance. Aucun des ouvrages spéciaux de l'anti- 
quité qui traitaient de inithriacisme, ceux d'Eubuie, 
de Pallas, de Kronios, n'est venu jusqu'à nous. Nous 
n'en connaissons que les fragments épars dans les 
deux traités de Porphyre (1), les interprétations 
personnelles de ce philosophe et celles de Celse, les 
attaques des Pères de l'Eglise (2). Les monuments mi- 
thriatiques eux-mêmes ont été fort maltraités. On 
connaît par une lettre de saint Jérôme la destruc- 
tion âL\\.mithrgeum du Capitole par le préfet Gracchus 
et celle du mihrœum d'Alexandrie par le patriarche 
de cette ville. Bien d'autres monuments eurent le 
même sort. Leurs débris pourtant sont précieux : 
ils permettent avec les nombreuses inscriptions rele- 
vées en tous pays, d'interpréter les symboles fami- 
liers aux adeptes de Mithra. C'est, encore là notre 
source principale d'information. En notre siècle, 
Lajard a conipromis par les hypothèses les plus 
hasardeuses le labeur de toute une vie consacrée à 
l'étude de Mithra. A part les planches de son pré- 
cieux Atlas, quelques pages à peine de son œuvre 
méritent de rester. C'est aussi tout ce qui subsiste 
>de l'ouvrage jadis célèbre de Dupuis, V Origine de 

(1) Le De antro Nympliarum et le De abstinentia. 

(2) Voir surtout Justin Martyr : Apologie et Dial. cont. Tryphon ; 
•Origène : Contra Ceisum ; Tertullien : Apologie, De baptismo, De 
■corona, etc. ; saint Augustin, saint Jérôme et Firmicus Maternus : 
De errore profan. religion. 



'ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTERES DE MITDRA. 13 

4ous les cultes^ qui eut l'idée -bizarre de faire 
à\\ christianisme une branche du mithriacisme ; 
quelque chose comme une hérésie milhriaque. Ré- 
-cemment un professeur de l'Université de Gand, 
. M. F. Cumont, s'est proposé de reprendre la ten- 
tative de Lajard. Il a réuni un grand nombre de 
'textes relatifs à Mithra et publié la collection -la 
plus complète des monuments de son culte. Le 
■commentaire qu'il a promis ne peut manquer, de 
jeter une lumière décisive sur la plupart des points, 
-qui restent encore obscurs, de la doctrine secrète 
'des mithriastes (1). 

n 

LES ORIGI^'ES. 

Si nombreuses que soient les greffes qu'ait subies le 
-culte de Mithra, au cours de ses pérégrinations, par 
toutes ses racines- il tient à l'Orient. C'est de lui qu'il a 
reçu la sève qui a nourri jusqu'à ses derniers rameaux, 
la forme de ses dogmes, ses symboles, la morale dont • 
il est pénétré. La philosophie et la théologie grecque 
'ont bien pu broder sur ce fond, mais sans l'abolir. 
Étudiqr le mithriacisme, abstraction faite de ses ori- 
gines et comme un produit attardé du syncrétisme 
occidental, c'est en méconnaître àplaisir la tendance 

(1) Nous devons signaler, outre le travail déjà ancien de Win-' 
dischmann : Jl/i//2?'a, les études du P. Allard sur le mêip.e sujet, et 
■surtout l'excellent chapitre de Réville sur le mithriacisme, dans 
la ReRgion sous les Sévères. 

Gasquet. — Mithra. 2 



i4 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

et la portée. Mais ces origines elles-mêmes sont 
complexes. Il suffit d'un regard jeté sur les monu- 
ments mithriaques pour y découvrira la fois des 
influences iraniennes et des influences chaldéênnes. 
Le taureau immolé par Mithra, qui occupe le centre 
de la plupart de ces compositions, est bien le tau- 
reau des légendes zoroastriennes ; mais à des signes 
irrécusables, il est aussi le taureau astronomique de 
Babylone. Les animaux figurés auprès de lui, le 
chien, le corbeau, surtout le serpent, sont les ani- 
maux de VAvesta ; mais les douze signes du zodiaque, 
qui ornent le cintre de ces monuments, les sept pla- 
nètes qui en parsèment le champ, d'autres indices 
encore manifestent la religion sidérale, qui fut celle 
de Ninive et de la Chaldée. Les anciens ne s'y sont " 
pas mépris. Ils donnent indifféremment à Mithra 
ï'épithète de Persan et de Ghaldéen (1). Ammien 
Marcellin, qui accompagna l'empereur Julien sur les 
rives de l'Euphrate assure que Zoroastre emprunta 
aux mystères de la Chaldée une partie de sa doc- 
trine (2). Il se trompait assurément, mais seulement 
sur l'attribution de l'emprunt au législateur légen- 
daire des Perses. Car VAvesta, à part. le calcul des 
périodes cosmiques, pendant lesquelles Ormuzd et 

(1) Citons le vers bien connu de Claudisn : 

Rituque juvencum 
Chaldœo stravère tnagi ; 

et l'inscription en vers de Rufius Ceïonius : 

Persidicique Mithrœ autistes babylonie templi. 

(2) Amm. Marcel!, lib. 23. «Cujus scientise saeculis priscis multa 
ex Chaldœorum arcanis Bactriauus addidit Zoroaster, deinde 
Hystaspes rex prudentissimus Darii pater.» 



- ESSAI SUR LÉ CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 15 

Ahriman se partagent la domination du monde, ne 
contient presque aucune donnée astronomique. 
Parmi les modernes, Hyde et Fréret eurent les pre- 
miers le pressentiment de cette double origine. Elle 
semble aujourd'hui hors de doute, depuis que les 
textes religieux de la Chaldée, déchiffrés par de 
patients érudits, permettent des rapprochements et 
découvrent des analogies, qu'on ne pouvait soupçon- 
ner, avant qu'ils ne fussent publiés. 



* 



Si l'on connaît aujourd'hui la langue et le texte 
de VAvesta, on est loin d'être fixé sur la plupart des 
problèmes que sou Iè5';e le livre sacré. On n'est 
d'accord ni sur le temps, ni sur le lieu oii le maz- 
déisme parut. Les uns lui donnent pour berceau la 
Médie, d'autres la Bactriane ; Eudoxe et Aristotè 
font naître, Z oroastre six siècles avant Alexandre; 
Pline le croit antérieur de mille ans à Moïse ; 
Burnouf place sa naissance vingt-deux siècles avant 
Jésus-Christ ; ceux-là le font contemporain d'Hys- 
taspe, le père de Darius. J. Darmesteter lui refuse 
toute réalité et le transforme en un personnage my- 
thique.. Enfin Renan ne croit pas que VAvesta ait 
jamais contenu le code d'un peuple ou d'une race. 
Et de fait, rien n'est plus malaisé que de situer 
dans une période historique précise la doctrine du 
législateur persan.- Celle qui convient le mieux, 
l'époque des Achéménides, paraît devoir être res- 
treinte au règne des premiers princes de la dynastie. 



16 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA.. 

Les opinions moyennes et probables, dont Spiegeî 
s'est fait l'interprète le plus judicieux, ont reçu de- 
graves échecs par les conjectures pénétrantes, auda- 
cieuses, mais souvent paradoxales, du regretté- 
Darmesteter (1). 

Cependant dans ce conflit de doctrines au sujet. • 
des antiquités persanes, quelques points peuvent, 
être considérés comme acquis. 

'L'Avesta, dans sa forme actuelle, a été arrêté et 
compilé sous la dynastie des Sassanides, c'est-à- 
dire, seulement au iv'' siècle de notre ère, avec les 
débris d'un ancien Avesta, en partie perdu ou détruit 
sous les successeurs d'Alexandre. 11 n'en subsiste 
que des fragments, dont quelques-uns remontent 
à une époque fort ancienne. Il est écrit en langue 
zend, qui est celle des inscriptions achéménideSy 
alors que, du temps des Sassanides, la langue usuelle 
était le peàlvi. 

Par la langue aussi bien cjue par les mythes et 
par le nom des divinités, VAvesla se rattache à 
cette époque pré-arienne, d'où sont issus les Védas 
de l'Inde. Mais tandis que l'imagination de l'Hindou^ 
dans son inépuisable fécondité, multipliait ses. 
créations et ses genèses divines, le génie plus sobre 
de l'Iran choisissait dans le trésor commun un mythe 
central, le drame céleste de l'orage, la lutte delà 
lumière et des ténèbres, du dieu irayonnant et du 



(1) Voir par exemple, d'une part Spiegeî : Die œrafiiscfie Aller- 
thûmer, 3 vol., et de l'autre : J. Darmesteter : Ormuzd et Ahri- 
man; surtout : l^rcface à la traduction de l'Avesla (Coll. du musée 
Guimet). 



ESSAI su II LE CULTE ET LES MYSTÈHES DE MITHRA. 17 

serpent de la nuée,, et le transposant dans le do- 
maine moral, en faisait la lutte du génie du bien 
et du génie du- mal, représentés l'un par Ormuzd, 
l'autre par Ahriman. Cette lutte dont la création et 
l'homme sont l'enjeu, implique, dans le mazdéisme 
classique, une parité absolue entre les deux anta- 
gonistes, égaux en puissance et en énergie créatrice. 
L'idée métaphysique que le mal n'a pu sortir du 
bien a probablement présidé à ce partage. Mais, à 
considérer de près les textes, VAvesla lui-même 
permet de reconnaître dans .Ormuzd un principe 
d'antériorité et de supériorité. Ahriman n'a pas la 
prescience de l'avenir ; il subit, mais ne commande 
pas la destinée. Il a conscience de son impuissance 
finale. 11 est, mais ne sera pas toujours. Sa création 
même n'est pas originale ; elle est toute d'opposition 
et de con tradition. Et, si l'on va au fond de la 
doctrine, il semble bien que le mal n'entre dans le 
monde qu'avec la créature (1). 

Ormuzd (Ahura-Mazda) est le seigneur omniscient. 
Il est l'espace lumineux antérieur à toutes choses 
et qui les contient toutes. Le ciel est son vêtement 
brodé d'étoiles, le soleil l'œil par lequel il surveille 
la création. « Il ressemble de corps à la lumière et 
d'âme à la vérité. » Il a créé le monde par son 
verbe, qui en nommant les êtres, projette hors de 
lui et insuille la vie.'IJ ressemble au Jéhovah de la 
Genèse. On comprend que les Juifs de la captivité 
aient cru reconnaître en lui l'image de leur Dieu et 

(1) Avesta : Yesht xm, §§ 77-78. 



. 18 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

lait de son serviteur. Cyrus le serviteur de ce Dieu 
•et l'exécuteur de ses desseins, en même temps que 
le libérateur de son peuple. 

Ormuzd s'est donné comme assesseurs les sept 
amshaspands^ qui ne sont, au vrai, que les qualités 
abstraites,, émanées de lui. Il semble que l'Iran, 
obsédé de la toute-puissance de son Dieu, ait été 
impuissant à donner à ces entités la plasticité de 
personnes divines. Plus précis et moins inconsistants 
«ont les vingt-huit izeds, les génies des éléments, 
•du feu, de l'air, des vents, des eaux courantes. Tout 
mazdéen leur doit un culte, ses prières et ses ado- 
rations. Viennent enfin dans la série des créations 
divines, les ferouërs ou frcwashis^ plus difficiles à 
déterminer ; ils sont à la fois les types immortels 
•et les idées des choses, et aussi les mânes des êtres 
qui ont vécu. Ils descendent temporairement s'in- 
carner dans les corps mortels, pour remonter, leur 
tâche accomplie, à leur patrie céleste. Les livres 
parsis de la basse époque leur donnent pour séjour 
les astres et la voie lactée. 

Ormuzd a donné à Zoroastre sa révélation, pour 
■qu'il enseigne aux hommes la doctrine de pureté, 
les paroles et les formules efficaces qui doivent leur 
assurer la victoire sur le mal. Lorsque les temps 
fixés seront accomplis et le cycle dos douze mille 
années révolu, il suscitera de la semence de Zo- 
roastre un sauveur, qui réveillera les morts, séparera 
les bons, achèvera par une expiation suprême la 
purification des méchants et consommera la défaite 
et l'anéantissement d'Ahriman. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTERES DE MITHRA. 19 

Mithra est l'un des vingt-huit izeds. Il appartient 
à la plus vieille mythologie arienne. On a pu dire 
qu'il était un de^ premiers dieux du paganisme et 
qu'il en fut le dernier. Dans lés plus antiques 
Védas, il est déjà un dieu-lumière, l'assesseur et le 
compagnon de Varouna. 11 fait le hien « par son 
regard et par le jour qu'il apporte » ; il s'identifie 
peu à peu avec le soleil. Dans l'Iran, sa fortune est 
plus éclatante. Dans les parties liturgiques et ri- 
tuelles de VAvesta^ son rôle est encore effacé et de 
second plan, bien, que son nom soit associé à celui 
d'Ahura. Mais bientôt sa personnalité se précise et 
se dégage. Dans le Yesht (acte d'adoration) qui lui 
est consacré et qui appartient probablement à une 
époque plus récente, il apparaît avec les premiers 
linéaments de la physionomie qu'il gardera désor- 
mais jusqu'à la fin. 

Il a été créé par Ahura, qui l'a fait aussi digne 
d'honneur que lui-même. Il s'avance au-dessus de 
la montagne de Hara, sa demeure, précédant la 
course du soleil, caressant le premier de ses blan- 
cheurs les sommets élevés et survivant à la 
disparition de l'astre. Il est à la fois l'aurore et le 
crépuscule. Guerrier impétueux, il combat infati- 
gablement les ténèbres et les œuvres de ténèbres. Il 
a dix mille yeux et dix mille oreilles. Rien ne se 
fait sur la terre: qui lui échappe et les plus secrètes 
pensées lui sont connues. Il découvre et déteste le 
mensonge : il est le Dieu de vérité. Seigneur des 
, Tas tes pâturages du ciel, il distribue la richesse et 
ia fécondité. Il est le gardien des contrats et le ga- 



20 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MiTHRA. 

rant de la parole donnée ; il préside aux relations 
de société, aux liens qui unissent les liooimes, et as- 
sure la stabilité du foyer. Il est l'ami et le consola- 
teur. « Le pauvre, pratiquant la doctrine de vérité, 
privé de ses droits^ l'invoque à. son secours, les 
mains levées au ciel, lui, dont la voix, quand il se 
plaint, s'élève et atteint les astres. » « La vache em- 
menée captive l'appelle à grands cris, pensant à son 
étable : que Mithra nous conduise a l'étable, comme 
le mâle, chef du troupeau, marchant derrière 
nous"! » Il est le médiateur entre les hommes, et le 
médiateur entre les créatures et le créateur. Il pré- 
side au sacrifice, comme le prêtre, et offre le pre- 
mier le homa dans un mortier émaillé d'étoiles. 
Quand il prie, sa voix éclatante, qui parcourt la 
terre, se répand dans les cieux superposés. Après 
la mort enfin, c'est lui qui aide les âmes à passer le 
pont fatal, et pèse leurs actions bonnes et mauvaises 
dans les plateaux équitables de sa justice. Il est 
déjà le triple Mithra, dieu du ciel, de la terre et de 
la mort. 



* 



Des influences étrangères allaient altérer profon- 
dément cette religion si pure et si simple, et modi- 
fier surtout la physionomie de la divinité secon- 
daire qui nous occupe. 

Quand les vigoureux montagnards de la Perse, 
adorateurs d'Ahura et de Mithra envahirent la 
Médie et les pays du Tigre et de l'Euphrate, ils trou- 
vèrent ces contrées en possession d'une des plus 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 2* 

vieilles civilisations du njionde, à la fois très- 
savante et très corrornpue, et d'institutions politi- 
ques et religieuses fortement organisées par un 
corps de prêtres puissants. Ils en eurent d'abord la 
défiance et l'horreur : mais, comme toujours, le 
vainqueur primitif et barbare se laissa gagner par 
le vaincu plus raffiné. Cette civilisation était celle de 
Ninive et de Bàbylone. Sur les boues fécondes et 
malsaines des marais de TEuplirate, il est probable- 
qu'a vécu la première humanité ; l'esprit s'effraie à 
sonder les profondeurs infinies de ce passé. Sans 
entrer dans les controverses que soulève la question- 
de ces lointaines et obscures origines, il semble bien 
que deux races, chacune d'un génie et de croyances- 
différents, aient concouru à cette civilisation. Une 
première population, ingénieuse et misérable, cb 
proie aux surprises, aux séductions et auxépouvan- 
tements d'une nature violente et généreuse. Elle 
croit à une multitude de génies malfaisants, aux 
formes bizarres et monstrueuses, qui s'acharnent 
sur l'homme, lui env'oient la maladie, la peste, les 
fïéàux et la mort ^ sa religion est toute en formules, 
en incantations déprécatoires, en amulettes et en 
phylactères : c'est la magie. De ce foyer s'est envolé 
sur le monde ce sombre essaim de larves, de lé- 
mures, de vampires, d'être fantastiques aux corps 
composites, qui onteffrayé l'imagination de tous les 
peuples; encore aujourd'hui, dans les vieux procès 
de sorcellerie, se ren.contrent des formules magiques 
dont le sens s'est perdu et qui se retrouvent sur les 
briques d'Our en Chaldée et de Ninive. Ces peuples 



22 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITIIRA. 

xîependant deviennent nombreiix et puissants; ils se 
J)âtissent les premières cités, s'asservissent quelques- 
uns de leurs génies, dont ils se font des dieux protec- 
teurs, ordonnent leur religion, fondée sur le culte des 
•éléments et des forces de la nature. Ils connaissent 
les arts et inventent l'écriture aux caractères cunéi- 
formes. A ces populations se mêlèrent ou se super- 
posèrent, probablement parla conquête, des Sémites, 
■venus du Midi, Sabéistes adorateurs des astres. 
Par le travail séculaire des écoles sacerdotales, les 
■croyances s'amalgamèrent, sans se détruire ; lesmy- 
tliologies des dynasties locales se simplifièrent et 
s'unifièrent ; les dieux anciens se répandirent dans 
les régions de la voûte céleste. De cette élaboration 
sortit une religion toute sidérale, comportant des 
spéculations élevées sur l'âme et sur la destinée, et 
qui s'accordaient avec un culte très sensuel et une 
théocratie féroce. 

L'astrologie, qui suppose la connaissance du ciel, 
-était la grande affaire de leurs prêtres, la science 
maîtresse ; par là, ils ont été même avant les 
Egyptiens, les créateurrs de l'astronomie et les vrais 
maîtres de la Grèce. Eudoxe et Hipparque se sont 
•instruits à leur école. Des hautes tours à étages, 
-qui leurs servaient d'observatoires, au-dessus de la 
poussière et du bruit des cités, ils plongeaient de 
leurs regards aiguisés par l'habitude dans les pro- 
fondeurs sereines du ciel oriental. Ils montraient à 
Callisthène, envoyé par Aristote, des observations 
astronomiques enregistrées depuis 1903 années 
consécutives. Dans les débris de la bibliothèque 



ESSAI SUR LE CULTE ET. LES MYSTÈRES DE MITIIRA. ^S- 

d'Assiirbanipal, recueillis à Ninive, en même temps- 
que des traités de magie et de numération, on 
trouve des calendriers et des livres d'astronomie^ 
qui montrent cette science constituée dès le temps- 
de Sargon l'Ancien ; des catalogues d'étoiles avec 
leurs levers et leurs couchers, la notation des phases 
de la lune, les singularités de la course vagabonde 
des planètes. Ils savaient calculer les éclipses de 
lune, peut-être même celles du soleil ; du moins 
possédaient-ils les éléments nécessaires à ce calcul. 
Ils pressentirent la précession des équinoxes. Ils 
fixaient la naissance du monde au moment où le so- 
leil était entré dans le Taureau, et lui assignaient pour 
lin le moment oiile soleil rentrerait dans ce signe (1 ). 
Le soleil était en etFet l'objet principal de leur 
étude. Ils lui avaient tracé sa voie dans le ciel, 
compté pour autant de victoires son entrée dans les- 
douze signes, ses hôtelleries célestes, nommé ces 
signes des vagues figures ébauchées par les clous 
d'or des étoiles, et rattaché à ces signes autant de 
légendes héroïques. Ils avaient divisé le zodiaque 
en 360 degrés et réparti méthodiquement les cons- 
tellations dans. ces divisions prolongées sur toute 
l'étendue des cieux. Ils avaient affecté à ces signes 
leurs -douze dieux principaux, dont sept étaient en 
même temps les dieux des sept planètes, et attribué 
aux trente-six décans les trente-six divinités infé- 
rieures. Mais pour eux le ciel était surtout le livre 
des destinées, la manifestation sensible des volontés 

(1) Voir Jenseq : Kosmologie der Babylonier.: Maspéro :Hisf. des 
peuples de L'Orient : Tom L La Chalde'e. 



;24 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

divines. Des influences constatées ou supposées, du 
soleil, de la lune, des planètes sur les phénomènes 
naturels et sur l'homme, ils concluaient à des 
•influences permanentes et occultes, que la science 
pouvait pénétrer, « En rattachant, dit Philon, les 
•choses terrestres aux choses d'en haut et le ciel 
au monde inférieur, ils ont montré dans cette 
-sympathie mutuelle des parties de l'univers, sépa- 
rées quand aux lieux, mais non pas en elles-mêmes, 
l'harmonie qui les unit, par une sorte d'accord 
•musical. » 

Cette civilisation servie pendant des siècles par les 
-armes victorieuses des rois de Babylone et de 
Ninive, avait pénétré toute l'Asie occidentale. La 
Médie, la première étape de la conquête persane, 
en était comme imprégnée. Ecbatane, que vit Héro- 
dote, avait, comme les villes de la Chaldée, sept 
enceintes aux couleurs des sept planètes. Les mages 
y dominaient, semblables à ceux de Babylone. La 
pure religion de la Perse, presque absolument dé- 
pouillée d'éléments naturistes,- ne tarda pas à 
s'altérer par l'infiltration des idées propres au,x 
systèmes religieux de la Chaldée. L'Avesia, même 
dans ses parties anciennes,- porte la trace de ces 
influences ; non seulement la fixation des périodes 
•de la grande année cosmique, mais le nombre les 
■amshaspands^ celui des izeds^ qui répondent- au 
chifl're des planètes et à celui des jours du mois 
•lunaire, en sont le témoignage. 11 y eut, il est 
vrai, des réactions violentes.. La plus connue est la 
révolution politique et religieuse, opérée par le 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITllRA. 23 

fils d'Hystaspe, Darius, et attestée par la grande 
inscription de Béhistoun, par le massacre des mages 
usurpateurs et la restauration dans toute sa pureté 
du culte d'Ahura-Mazda. Mais jusque dans ce mo- 
nument du vainqueur se fait sentir l'empreinte des 
idées et des formes, dont il se flatte d'avoir triomphé. 
Les caractères cunéiformes de l'écriture, les noms 
. des mois sont chaldéens ; chaldéens et comme déta- 
chés des monuments de Bahylone sont les génies 
qui représentent les dieux persans; toute l'icono- 
graphie persane dérive de cette imitation. La bête 
ahrimanique que combat le serviteur d'Ahura, 
appartient à la même origine ; on la retrouve sur 
ces milliers de cônes et de cylindres exhumés de la 
poussière des cités mésopotamiennes et qu'on a 
relevés jusque sur le champ de bataille de Marathon. 
Le sigle même de la divinité, l'Ahura en buste 
ceint de la tiare, aux quatre ailes éployées et qu'en- 
serre le cercle, svmbole de l'éternité, vient en 
droite ligne de l'Euphrate, où peut-être il fut im- 
porté d'Egypte. La l'evanche d'ailleurs ne se fit pas 
attendre ; elle vint probablement des influences de 
harem si puissantes dans les monarchies d'Orient. 
La femme de Xercès, Ames tris, est toute dévouée au 
magisme. Elle sacrifie aux divinités infernales et 
fait enterrer vivants neuf couples de garçons et de 
filles appartenant aux plus grandes familles de la 
Perse, pour préparer le succès de l'expédition contre 
la Grèce. Pareil sacrifice expiatoire se consomme 
sur les bords du Strymon, au cours de la marche 
des armées dii grand roi. 

Gasquet. — Mithra. 3 



26 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITDRA. 

Sous Artaxercès Mnémon, s'achève la trahison 
des dieux nationaux et se consomme la plus grave 
des altérations que le mazdéisme ait subies par son 
contact avec l'Assyrie et la Chaldée. Deux des izeds 
avestéens, Mithra le génie de la lumière, Anahîta 
le génie des eaux courantes et la dispensatrice de 
la fécondité, sortent tout à coup du second rang, 
pour apparaître au premier. Tous deux se prêtaient 
aisément à l'assimilation avec les divinités de Baby- 
lone. Mithra, assesseur d'Osmuzd, a détourné peu 
à peu sur lui la piété et l'adoration des fidèles. 
Moins lointain que lui, moins métaphysique, moins 
dégagé de formes et de contours, il est plus près des 
fidèles, qui le reconnaissent dans l'astre qui les 
inonde de ses bienfaits. Pareille évolution s'était 
déjà produite en Chaldée, où le dieu Soleil, Samash, 
s'était vu substituer peu à peu ses parèdres, 
Mardouk, Ninip, Nergal et Nébo, d'abord assignés 
à la garde des planètes et qui bientôt représentent 
le soleil même, dans chacune des périodes de sa 
course annuelle. Les caractères même de la divinité 
persane, tels que nous les avons relevés dans le 
Yesht consacré à Mithra, nous les retrouvons avec 
une similitude, qui n'est peut-être pas l'effet du 
hasard, dans divers fragments d'hymnes chaldéens 
récemment déchiffrés. — « Soleil, l'arbitre suprême 
du ciel et de la terre — la loi qui enchaîne l'obéis- 
sance des pays, c'est toi. — Tu connais la vérité, 
tu connais le mensonge. — r Soleil, le seigneur qui 
développe la vie, celui qui répand la grâce sur 1& 
pays, c'est toi. — » Et dans un autre, on lit : 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. 27 

— « Toi qui fais évanouir les mensonges, toi qui 
dissipes la mauvaise influence — des prodiges, des 
augures, des pronostics fâcheux, des songes, des 
apparitions mauvaises, — toi qui déçois les com- 
plots méchants, toi qui mènes à la perdition — les 
hommes et les pays qui s'adonnent aux sacrilèges et 
aux nialéfices. » — Pour les Chaldéens, comme pour 
les Persans, le soleil est donc le dieu de la vérité, 
l'ennemi du mensonge; sa lumière éclaire les se- 
crets de la nature comne les réplis de la conscience. 
Génie des sources et des eaux qui suscitent la 
vie, Anahita, dont le nom même est celui de l'Anat 
babylonienne, devient la déesse nature de la géné- 
ration, la mère de la fécondité, la lune, conser- 
vatoire de l'élément humide, de qui procède toute 
croissance, pour la terre comme pour les hommes. 
Ainsi naît un nouveau couple, conçu sur le mo- 
dèle des couples babyloniens d'Ishtar et de Mardouk, 
l'Aphrodite chaldéenne et le dieu solaire et dé- 
miurge. Artaxercès le premier, comme en témoigne 
l'inscription de Suze, l'impose à l'adoration de ses 
sujets et dresse ses statues à Suze, à Ecbatane, à 
Babylone, comme à Damas et à Sardes. A leurs 
temples, qui subsistaient encore au temps des Sé- 
leucides, il affecta d'immenses revenus et il attacha 
au service de la déesse des milliers d'hiérodules des 
deux sexes, voués aux prostitutions sacrées. 

Le culte d'Ahura-Mazda n'est point pour cela dé- 
laissé. Les inscriptions achéménides nous le mon- 
trent, sous les successeurs d'Artaxercès, associé tan- 
tôt à Mithra, tantôt à Mithra et à Anahita. Mais dès 



28 ' ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITIIRA. 

lors, il commence à s'effacer et à s'éclipser devant 
l'éclat de son coadjuteur (4 ). Sans jamais disparaître, 
il recule au delà du ciel des planètes et des étoiles 
fixes, dans le ciel inaccessible de la lumière incréée(2) . 
C'est à lui encore, comme au dieu suprême, que dans 
les derniers monuments du iv'' siècle après Jésus- 
Christ, Mitlira médiateur conduit les âmes, monté 
sur le char solaire. Mais les philosophes seuls le 
perçoivent et le supposent ; la foule ne s'en préoccupe 
plus et semble l'ignorer. En même temps, Mithra, 
distinct du soleil dans les livres sacrés, s'identifie 
de plus en plus avec lui. De génie de la lumière, il 
est devenu le foyer lumineux qui anime la nature. 
Il se confond avec lui, comme chez les Grecs Apol- 
lon avec Hélios. Le soleil apparaît comme l'image 
visible et secourable du dieu; l'abstraction s'est 
réalisée en un objet sensible pour tous. C'est ainsi 
que peu à peu la fusion s'opère entre les religions 
de la Perse et de la Chaldée. C'est la fête d'un culte 
complètement sidéral quenous décrit Quinte-Curce, 
certainement d'après des documents originaux, 
sous le règne de Darius, l'adversaire d'Alexandre. 
La procession qui se déroule au soleil levant, nous 
montre, à la cime de la tente royale, l'image glo- 
rieuse de l'astre incrustée dans un bloc de cristal, 
le feu porté sur des autels d'argent, un cortège 
de 365 jeunes gens, vêtus de pourpre, égaux en 

(1) Strabon dira de Mithra: 'Ov Iléocrat c-éêovTat ôewv [iôvov. 

(2) Gela ressort nettement du discours de Dion Chrysostome, 
où ce philosopiie traite de la religion des Perses. [Orat. 2G. Bo- 
rysUienica. éd. Dindorf, t. II, p. 309.) Y. aussi l'Iriser. d'Antio- 
chus au temple de Nemrud-dagh, et celle de Sahin (Phénicie) : 
8£6> {i'I/t(7"M oùpavûù. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITllRA. 20 

nombre aux jours de l'année, un char consacré à 
Jupiter (Ormuzd) traîné par des chevaux blancs et 
suivi d'un cheval d'une grandeur merveilleuse 

. qu'on appelait le cheval du Soleil (1) (Mithra). 

Telles sont les altérations qu'a subies la doctrine 
de Zoroastre. Si donc plus tard, dans les mystères 

. de l'Occident, Mithra nous apparaît dégagé de toute 
promiscuité féminine, le plus austère dans son 
culte et dans ses symboles de tous les dieux de 
l'antiquité, nous sommes conduits à conclure à 
une séparation violente du dieu perse avec les 
cultes chaldéens, à une sorte de réforme puritaine, 
qui ramena Mithra à une partie de la pureté des 
conceptions avestéennes. Cette réforme, nous n'en 
connaissons ni le temps, ni le lieu. Elle s'opéra 
probablement sous la domination des successeurs 
d'Alexandre, ausein d'une de ces sectes, qui, comme 
les zerwanistes unitaires, naquirent de la ruine du 
magisme, avant la restauration du zoroastrisme, 
commencée par les Arcacides et cousommée par 
les Sassanides. Anahîta, seule et sans son acolyte, 
reste la déesse -nature, adorée en Arménie, en Cap- 
padoce et dans le Pont, sous des noms divers. 
Mithra semble être demeuré le dieu des Parthes,- 
de Tiridate et de Vologèse (2), un Mithra tout persan 

(1) « Orto sole procédant ; et super régis tabernaculo, unde ab 
omnibus conspici posset, imago Solis crystallo inclusà fulgebat. 
Ignis argenteis altaribus prîBferebatur. Magi prt)ximi patrium 
Carmen canebant. Magos 365 juvenes sequebantur, puniceis ami- 
culis velati, ad nuœerum dierum anni. Currum Jovi sacratum 
albentes vehebant equi : hos eximiâ magnitudine equus, quem 
solis appellabant, sequebatur, etc. » Quinte-Curce, lib. III, cap. 7. 

(2) Yo'.ogèse 1, l'ami de Néron, est probablement le Yalkash qui 

3. 



3Û- ESSA.I SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. ;. 

pur les directions de sa morale et le caractère de 
sa doctrine, chaldéen par la forme de ses dogmes 
et son symbolisme astronomique. 



* 



Le commentateur de Stace, Lactantius Placidus 
a? marqué en ces termes les étapes suivies par le 
eulte de Mithra : « Les Perses ont connu les pre- 
miers ses mystères, les Phrygiens les ont reçus 
des Perses et Rome des Phrygiens (1). » 11 ne nous 
reste aucun document du séjour de Mithra en Phry- 
gie. C'est la principale lacune de son histoire, et il 
y a peu d'apparence qu'aucune découverte vienne 
jamais la combler. S'il ne semble pas que la doc- 
trine du dieu persan se soit altérée au contact des 
divinités phrygiennes, dont les cultes orgiastiques 
et sensuels ont peu de rapport avec ceux de Mithra, 
déjà se manifeste en lui cette facilité singulière à 
s^dapter aux divers milieux où il se transporte, et 
à s'apparenter aux dieux étrangers qu'il fréquente. 
C'est ainsi qu'il emprunte à Attis le costume sous 
îîequel il figurera désormais sur les monuments, les 
braies flottantes, serrées aux chevilles, la blouse et 
lu bonnet phrygien, distinct de la tiare persane. 11 
conclut alliance avec Sabazios, le dieu solaire, « le 
berger des astres brillants (2), » qui déjà, sous le 

fit, d'après le Dinkart, réunir le premier les fragments de l'Avesta 
dispersés {V. Préface de l'Avesta par J. Darmesteter). 

(I) « Quae sacra primum Persœ habuerunt, a Persis Phryges, a 
Bhrygibus Romani. » 

(,2) Philosophoumena, lib. V (169-171). ■ . 



,■:: ESSAT SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 31 " 

tpatrôiiago du Bacchus de Thrace, a pénétré jusque 
. dans les mystères d'Eleusis. Son nom gravé se jit 
sur le taureau mithriaque du Capitole. Dans la fa- 
meuse catacombe de Prétextât,^ un prêtre de Saba^ 
izios et un pontife de Mithra (?) dorment dans la paix 
du même tombeau, fraternellement unis dans la 
nrort (J). Pareil rapprochement, attesté par les mo- 
numents du iv"' siècle, s'opère avec le dieu Men ou 
Lunus, qui ressemble de si près au Chaldéen Sin, 
ie dieu mâle de la l'une, représenté, le pied posé 
sur la tête du taureau (2). D'ailleurs les deux 
mytbologies, phrygienne et chaldéenne, trahissent 
des ressemblances sensibles, qui proviennent moins 
d'une influence réciproque, que de Taction exercée 
sur toute l'Asie occidentale, pendant des siècles, 
par la domination assyrienne; pour marquer cette 
filiation, les Grecs faisaient d'Attis le fila de Nanna, 
'qui est une déesse de Babylone. Il est possible aussi 
' que, dès lors, le culte de^ithra ait emprunté à 
€elui de Cybèle l'usage du taurobole et du criobole, 
bien que l'immolation du taiireau et du bélier, qui 
tous deux symbolisent, à deux périodes différentes, 
l'année "zodiacale, fût une coutume générale dans 
les pays de l'Euphrate. Enfin lej^in, emblème jdlim- 
-mortalité, qui garde en hiver sa verdure, et qu'on 
\ promenait pendant les lamentations d'Attis, devient 
un des accessoires figurés du sacrifice mithriaque. 
De Phrygie, le culte de Mithra gagna les côtes i 

(11. V. plus loin pour l'interprétation de ce monument. 
(2} L'épifchète de Menotyrannus donnée à Mithra est fréquente 
•dans les inscriptions. 



32 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITORA. 



de la Méditerranée. Il était le dieu principal dos 
pirates qiie Pompée poursuivit dans leurs retraites 
de Gilicie. Les légions le rapportèrent de Tarse, la 
vieille colonie assyrienne, et par elles il fit soiî 
entrée daiis Rome. 

Ce point d'attache du culte occidental de Mithra 
avec l'Orient n'est pas indifiFérent. Tarse passait 
pour une des villes les plus anciennes du monde, 
Ses traditions lui donnaient pour premier fondateur 
le héros Sandan et Hercule ou Persce. Plus tiird, 
le monarque assyrien Sennachérib l'avait de nou- 
veau conquise ; elle se réclamait aussi de ce second 
fondateur. Tous les cinq ans, en l'honneur du dieu 
national Sandan, se célébrait une fête fameuse qu'on 
appelait « la fête du bûcher », Dion Chrysostôme 
en parle longuement dans le discours ou panégy- 
rique qu'il prononça à Tarse même. Ce Sandan, 
qui est le même personnage que le dieu national 
des lydiens Sandan, n'était autre que l'Hercule 
assyrien et le dieu du feu, d'où par conséquence, le 
soleil. Bérose rapporte que les Babyloniens con- 
naissaient une divinité de ce nom, et Oppert le 
désigne comme une épithète de Ninip, un dès 
parèdres de Samash. Aucun doute n'est donc pos- 
sible sur ses origines. 

L'épisode principal des fêtes sacrées de Tarse 
était fourni par la mort de Sandan, dont l'image, 
était brûlée sur un bûcher de forme particulière, 
dont les médailles de la ville reproduisent le type. 
C'était un pirée gigantesque, en forme de pyramide 
reposant sur une base carrée. A l'intérieur, Sandan 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈUES DE MITHRA. 33 

est dressé debout, les pieds posés sur un lion, dans 
l'altitude même que certains monuments de l'Occi- 
dent ont conservé à Mithra. Au faite du bûcher, un 
ai'gle ouvre ses ailes. C'était l'Orne du héros, qui, 
purifiée par le feu de ses souillures mortelles, 
s'envolait vers le ciel, pour s'unir au soleil. Avec 
quelques variantes, on retrouve le même type en 
diverses villes d'Asie, de Syrie et de Phénicie. 

• Sur ces médailles, l'aigle est quelquefois remplacé 
par un quadrige qui émpprte vers les astres l'âme 
ou le double du dieu. A Tyr même, on fêtait, à la 

. date du mois Péritius, répondant au 25 décembre 
du calendrier romain, qui sera la date des natalitia 
de Mithra, le réveil (sy^p^'-?) ou la renaissance do 
Melchart. Il s'agit donc bien d'une fête de purifi- 
cation et de résurrection ou d'apothéose (1). Ses 
rites mêmes furent empruntés plus tard par . les 
Romains pour la consécration des empereurs (2). 

^ Or c'est la même doctrine^ d'expiation pour l'âme, 
de résurrection et d'immortalité qu'enseigne Mithra. 
dieu (ie lumière comme Sandan. 

Le. culte de Mithra végéta d'abord obscurément 
à Rome. Le premier monument qui le signale est 
une inscription de Naples, du terhps de Tibère. 

(1)' Sur le "culte de Tarse, Voir Oltf. Muller. Sandan and Sarda- 
napal ; R. Rochette : Vllercule assyrien, Mém. de VAc. Insc. et B. L. 
Tom. XYII 11*=. F. Lenormant : Commentaire sur. Bérose p. 110 et 
145 Dion Chrysostome : Orat. 33. 

(•2) Hérodien IV, 3 « Quand l'image en cire qui surmontait le 
bûcher de l'empereur défunt était sur le point de disparaître, sous 
l'action de la flàrrime, on voyait au faîte de cet édifice un aigle 
s'élancer dans les airs. Les Romains s'imaginent qu'en lui plane 
et s'élève vers le ciel l'àme de l'empereur. » 



34 ESSAI SUR LE CULTE Eï LES MYSTÈRES DE MITIIRA. 

Néron lui fait accueil et demande, dit-on, à ses 
mystères l'expiation de son parricide. Il se lie 
d'amitié avec les souverains parthes, et reçoit leurs 
ambassadeurs qui célèbrent à Rome ouvertement 
leur culte (1). On sait que la légende longtemps 
populaire voulait que le césar, échappé à ses meur- 
triers, eût trouvé un refuge dans le royaume de 
î'Euphrate, d'où il devait revenir avec ses alliés 
pour se venger de ses ennemis. Le culte de Mithra 
est florissant sous Trajan. Adrien l'interdit un 
moment, à cause des scènes cruelles qui passaient 
pour ensanglanter ses cérémonies. Commode se 
se fait initier et se souille au cours des épreuves 
d'un homicide qui fait scandale (2). Avec les em- 
pereurs syriens se répand la vogue des cultes 
solaires. Élagabal, le prêtre syrien couronné, pré- 
tend subordonner au dieu d'Emèse toutes les divi- 
nités de l'empire, préludant à un syncrétisme pré- 
maturé, qui, dans sa pensée, devait embrasser le 
judaïsme et le christianisme (3). Mais c'est surtout 
d'Aurélien que datent l'extension et l'immense 
popularité de Mithra. Né en Pannonie, d'une prê- 
tresse du Soleil, élevé par sa mère dans le temple, 
il est envoyé comme ambassadeur en Perse. Au 
cours d'un festin, il lit dans le relief d'une coupe ' 
consacrée à Mithra la promesse de sa grandeur 

(1) Le Parthe Tiridate initie à Rome Néron. Voir Pline, lîist. Naf., 
cap. 30, et Dion Cassius, Lib. IV, ch. 63. Voir aussi Suétone : 
«>Quin et facto per magos sacro evocare mânes et exorare ten- 
tavit. » 

(2) Lampride : Vita Commodi, cap. 9. 
(3J Lampride : Vita lleliog., cap. 3. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LÈS MYSTERES DE MITIIRA. . 35 

future. Plus tard, empereiir, vainqueur de Zénobie, 
il transporte à Rome le dieu solaire de la cité 
palmyréenne ; reprenant la tentative d'ElagabaL 
cette fois avec succès, il unit dans une même ado- 
ration et dans un même temple tous les cultes du 
soleil. Au nouveau Dieu, il consacre l'empire, et 
pour la première fois, sur les médailles et sur les 
monuments, se lit, avec l'emblème de Vinvictics^ 
cette formule : Sol,'^dommiis imperii Romani [\\. 
Ce Dieu n'a pas de nom patronymique, rien qui 
rappelle une origine particulière,-^ dévotion spé- 
ciale d'un peuple. C'est Sol, le dieu invincible, 
dont les ténèbres de la nuit et de l'orage ne peu- 
vent triompher, que les siècles ne diminuent pas; 
le dieu certain [certus sol) dont la réalité vivante et 
agissante éblouit l'univers. Mais à cet anonyme la 
faveur populaire attache un nom, celui du dieu 
persan, dont les mystères se répandent en raison 
même du succès des cultes solaires. Sol et MithriL, 
comme l'attestent les inscriptions, ne sont plus 
désormais qu'une même divinité. C'est celle de 
Dioctétien, de Constance-Chlore, des derniers em- 
pereurs ; c'est celle aussi de Constantin, dont les 
monnaies portent l'emblème de ïmvictus et qui 
longtemps hésita entre Mithra et le Christ. C'est 
surtout lé dieu de Julien, voué dès sa jeunesse 'à 
Mithra, dont il fait le conseiller et « le gardien de 
son âme » (2^. Le monothéisme latent, que porte 

(1) Fl. Vopiscus : Aurelinni vila, cap. 4, 14, 25. 

(2) Julien. : C07livium, .336 : Hzig^lol v.al ôpfjibv ào-çaXïi Çwvrt.^. 
(j.£-à TTjç àyaôïiç âXraôoç 7iY£fji.6va Oeov eÙjjlîvtî xa6tc"ràç o-eauTÛ. 



36 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

en lui le paganisme, trouve sa formule dans le 
traité que l'impérial écrivain intitule : le Roi 
Soleil (1). • 

m 

LA DOCTRINE. 

L'initiation mithriaque était donnée dans des 
grottes naturelles ou artificielles, a Zoroastre le pre- 
mier, écrit Porphyre, consacra en l'honneur de 
Mithra, créateur et père de toutes choses, un antre 
naturel dans les montagnes voisines de la Perse, 
arrosé par des sources, couvert de fleurs et de feuil- 
lages. Cet antre représentait la forme du nionde, 
créé par Mithra (2). A l'intérieur étaient disposés 
çà et là les symboles des éléments cosmiques et des 
climats. Après Zoroastre, l'usage persista d'initier et 
de célébrer les mystères dans des antres ou des 
cavernes. » Il ajoute que dans cet antre, dont la 
description est empruntée à Homère, habitent des 
Naïades ou des Nymphes qui représentent les 
âmes fiancées à des corps mortels. C'est là une des- 
cription assez exacte de la grotte mithriaque, telle 
que des fouilles récentes nous l'ont révélée. Mais il 
n'est question dans VAvesta, ni de grottes, ni de 
nymphes, ni de l'appareil astronomique, dont nous 
parle Porphyre. Bien au contraire, nous savons par 



(1) 3e renvoie pour la diffusion du culte de Mithra sous l'erapire 
au livre de J. Réville : la Religion sous les Sévères. 

(2) Porphyre : De a7it>'0 Nymph., cap. G-8 : :3-j[iSoXov -zr^ç, -jX-^jç 
ï% ^; ô y.do-iAOç. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 37 

Hérodote et Strabon que les Mazdéens proscrivaient 
les temples et sacrifiaient à leurs dieux sur lé som- 
met des montagnes. Mais nous saisissons en cet 
usage la survivance d'une des plus vieilles tradi- 
tions des religions orientales. La grotte, image du 
monde créé, avec le foyer qui l'éclairé, symbole du 
soleil, se retrouve dans le culte de la Gybèle Phry- 
gienne et dans les vieux cultes de la Grèce, en 
Crète et en Arcadie (1). 

Ces antiques souvenirs trouvent un écho dans 
Platon, qui dans un mythe célèbre, représente le 
monde terrestre comme une caverne. Les Chaldéens 
affectaient de donner à leurs tours prismatiques 
la forme de montagnes, creusées de chambres à la 
base, et pour eux le même terme traduisait le temple 
et la terre. Pareille conception s'imposait aux Égyp- 
tiens dans la construction de leurs pyramides, oiile 
mort vivait sa seconde existence. Enfin les Etrus- 
ques et les Latins eux-mêmes avaient la prétention 
dans le plan et dans l'orientation de leurs temples, 
de reproduire l'ordre et la disposition de l'univers. En 
sorte que la grotte mithriaque est simplement le 
temple sous sa forme la plus primitive. 

L'exactitude des assertions de Porphyre a d'ail- 
- leurs été surabondamment prouvée par les fouilles 
qui ont mis au jour les nombreux sanctuaires du 
culte mithriaque. Ces grottes, dans les villes, sont 
presque Jtoujours artificielles et ressemblent à des 
caves voûtées, auxquelles on accède souvent par de 

(1) Porphyre lui-même signale ces ressemblances. 

Gasquet. — Mitlira. 4 



38 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

longs corridors souterrains. Les plus connues et les 
mieux explorées sont celles du MithrsBum du 
Capitole, celle d'Ostie et celle de Saint-Clément. 
Toujours s'y rencontre la source, signalée par 
Porphyre, comme élément essentiel du. culte et qui 
servait aux lustrations rituelles. Les Chrétiens du 
iv^ siècle ne manquaient pas de s'égayer aux dépens 
d'une secte qui cherchait le soleil sous la terre ; ce 
roi des ténèbres, qui pouvait-il être, sinon Lucifer, 
prince du mal? (1). 

Le Mithra des mystères reçoit le nom de petro- 
genès^ â'invictus de petrâ natus^ de Tpecç à/. ■::àôaç. Il 
est difficile d'en donner une raison satisfaisante. 
A-t-on voulu exprimer par là l'éclair des rayons 
naissants à l'aube au sommet des montagnes et qui 
semble jaillir des rochers ? On peut le croire, 
puisque le petrogenès est souvent représenté sur les 
monuments par une figure radiée en buste se déga- 
geant d'une gaine rocheuse. Peut-être voulait-on 
plutôt expliquer par là l'origine du feu, qui sort en 
étincelles du choc de la pierre (2). Il est curieux que 
les plus vieilles religions de l'Asie rendaient un 
culte au soleil sous la forme d'un cône de pierre. 
La pierre noire d'Emèse, emblème de Baal, dont 
Elagabal fut le prêtre, fut par lui transportée à 

(1) Quid quod et Invictum spelœa sub antra recondunt, 
Quemque tegunt tenebris audent hune dicere solem, 
Quis colat occulté lucem, sidus que super-num 

Celet in infernis, nisi rerum causa malarum ? 
Paulin de Noie : Op. Ed. Veron, p. 703. Rossi {Biillet. 1868, 
p. 57) cite ce fragment Qui docuit sub terra quœrere solem. 

(2) C'est l'explication que donne Lydus : De mens, III, p. 43 : Six 
10 Toy îrpbpc xÉvrpov. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 39 

Rome, quand il y vint pour exercer l'empire. Ce 
cône de -pierre, la petra genitrix, se retrouve 
aussi dans plusieurs des mithrsea explorés de nos 
jours (1). I 

C'est encore aux plus anciennes traditions reli- 
i,gieuses de l'Orient qu'il faut remonter pour rendre 
' compte de l'épilhète de (Bouy.Xé'^oç, volèhr de bœufs, 
que donné Poi^phyre à Mithra et que répètent à 
l'envi, dans une intention ironique, les auteurs chré- 
tiens (2). Comme le dieu solaire des hymnes védi- 
ques, Mithra chasse devant lui les nuages qui sont 
les vaches célestes. Dans l'Avesta, il est toujours le 
dieu des vastes pâturages. Il ramène à l'étable les 
troupeaux égarés. Il les arrache au serpent de la 
nuée qui les détourne ; il frappe l'ennemi, il délivre 
les prisonnières, qui déversent alors leurs pluies 
nourricières sur le sol altéré (3). 

C'est ici le lieu d'indiquer les traits principaux 
du tableau mithriaque, tel qu'il était représenté 
en relief sur la pierre dans tous les sanctuaires 
du dieu persan. Les artistes se sont efforcés d'y 
tracer les principaux symboles du culte et de la 
doctrine, à ce point/que)si nous savions les déchifl'rer 
et entrer dans leur esprit, le culte de Mithra n'aurait 

(1) Rossi, Bullei. 1870, Le mithrseum de Rainl-Clémpnt. 

(2) Porphyre, De antro Nymph. 24 ; Gommodien, Instruct. 1, 13 : 

Vertebatque boves aliènes semper in antris 
Sicut et Cacùs, Vulcani filius... 
Firmicus, Ve^errore prof. : « Virum abactorem boum », etc., etc. 

(3) M. Bréal dans son livre célèbre, Hercule et Cacus a montré 
l'origine de cette légende et comment elle s'est répandue et 
transformée dans les diverses mythologies. Voir aussi J. Darmes- 
teter : Eludes iraniennes, tome II, p. 193. 



40 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

plus de secrets pour nous. Mais d'une part l'indé- 
cision des formes et des figures, qui vient autant 
des maladresses du sculpteur que de la dégrada- 
tion du temps, de l'autre notre ignorance de bon 
nombre de ces emblèmes et des croyances qu'ils 
recouvi'ent, ne nous permettent guère ,que de 
pénétrer à la surface du mythe et laissent pour 
nous dans l'ombre bien des points encore ina- 
perçus. 

On peut distinguer trois représentations diffé- 
rentes de Mithra. Le Mithra égorgeant le taureau, 
le plus connu et le plus répandu de ces types, n'est 
peut-être pas le premier. Je croirais volontiers que 
le type le plus ancien nous est donné par le monu- 
ment de la villa Altièri, figurant Mithra debout, en 
costume phrygien, les pieds sur le taureau. C'est 
l'attitude que semble décrire Porphyre et que pré- 
cise Macrobe, quand il dit qu'à l'équinose vernal, 
le taureau porte le soleil. Si l'on veut se reporter 
aux innombrables cônes et cylindres recueillis dans 
la poussière de la Mésopotamie, on remarque que 
la divinité solaire y est très fréquemment figurée 
debout sur l'animal, qui symbolise le signe repré- 
sentatif du Dieu. C'est en particulier l'attitude 
habituelle donnée dans ces intailles à la déesse Ishtar, 
debout sur la taureau ou le lion. Si l'on veut bien 
aussi se reporter aux types des médailles de Tarse 
et se souvenir que c'est de cette ville que le mithria- 
cisme vint à Rome, on sera frappé de la ressem- 
blance, pour ne pas dire de l'identité, que présente 
avec le Mithra de la villa Altieri, le dieu Sandan, 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 41 

debout sur le bûcher qui doit le consumer (1). 
On connaît plus de vingt représentations de 
Mithraj sous la figure d'un homme à tête de lion 
ou à masque léonin, enlacé dans les replis d'un 
énorme serpent. Montfaucon le premier, et après lui 
Visconti, ont reconnu dans ce type étrange le dieu 
persan; Au commencement de ce siècle, le danois 
Zoéga, suivi par toute une école d'archéologues, 
contesta cette attribution et baptisa le léontocéphale 
du nom vague d'Eon, un de ces génies que les gnos- 
tiques d'Orient interposent entre l'infini et la créa- 
tion. L'attribution à Mithra paraît cependant des 
plus vraisemblables. Le commentateur de Slace, 
Lactantius, fait allusion à deux des types du dieu 
persan, dont l'un au visage de lion [leonis vultu). 
Les attributs du léontocéphale se rapportent assez 
exactement aux symboles à la fois astronomiques 
et moraux, qui s'étalent plus abondamment autour 
hdu type du tauroctone.. Le lion représente le soleil 
I pans le signe qui répond à l'ardeur de l'été, comme 
' le taureau le représente dans celui qui répond au 
printemps ; le premier étant le symbole du principe 
igné, comme l'autre celui du principe humide. Le 
serpent est à la fois l'ennemi mythologique du 
soleil, à toutes les périodes de sa course et le génie 
du mal dans les livres du parsisme. Il tend la tête 
vers le cratère, qui est auprès du dieu, comme pour 
épuiser la -source de vie aui alimente l'univers 
créé. 

(1) R. Rochetle, Acad. Inscr. et Belles- Lellres, t. XVII. Voir 
PL IV, nos 1 à 6, 8, 10, 17. 



42 ESSAI SIR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

Entre les replis du serpent et sur le torse du 
monstre divin, sont distribués les signes du 
zodiaque, tout au moins les quatre principaux : les 
deux équinoxes et les deux solstices, ligures par le 
Cancer et le Capricome, le Bélier et la Balance. Il 
tient à la main tantôt une clef, tantôt deux, percées 
de tfous. Que peuvent être ces clefs, sinon celles 
des deux portes des âmes ; celle du Capricorne qui 
ouvre l'accès du ciel, si la clef est unique? Tous 
ces faits répondent bien à la doctrine mithriaque. 
La présomption se change en certitude, si l'on se 
' rappelle que dans le mithrœum de Saint-Clément, 
la figure du léontocéphale est peinte sur les 
fresques des salles, et que, dans celui d'Ostie, la 
plus connue et la mieux conservée des images de 
ce type fut découverte au fond du sanctuaire, en 
même temps que celle du type du tauroctone. Sur 
les deux compositions se lit, avec la date de la con- 
sécration, la dédicace du même donateur, Gaïus 
Valerius Hercules. Le léontocéphale nous parait 
donc représenter Mithra, sous l'un des aspects de 
sa vie solaire, comme les Phéniciens représentaient 
leur Baal. 

Le plus souvent, c'est sous la figure_du,. taurjoc- 
y tone que Mithra nous apparaît. (Quelquefois, 
comme à Felbach (Wurtemberg) le bélier se 
substitue au taureau comme victime du sacrifice). 
Il passe pour avoir emprunté l'attitude de la 
Victoire égorgeant le taureau, qu'il rappelle en 
effet presque trait pour trait. L'emprunt n'en reste 
pas moins douteux, le Mithra et la Victoire parais- 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 43 

sant procéder run et l'autre d'un type commun, 
une aphrodite asiatique sacrifiant la bête qui lui est 
consacrée. 

Dans le tableau mithriacrue,' le dieu coiffé du 
bonnet phrygien [Pileatus)^ vêtu du costume 
d'Attis, dans un élan qui gonfle derrière lui les plis 
%- de sa tunique flottante, appuie du genou sur le flanc 
du taureau ; d'une maîn il saisit la corne de la bête 
ou lui relève le muffle vers le ciel ; de l'autre, il lui 
plonge un poignard dans le cou, d'où dégoutte un 
ruisseau de sang. A droite et à gauche du lauroc- 
tone se tiennent debout deux génies dadophores, 
l'un tenant son flambeau levé, l'autre le tenant 
abaissé vers la terre; ils représentent le jour et la 
nuit, le printemps et l'hiver, la vie et la mort; 
peut-être aussi, ce qui revient d'ailleurs au même, 
les deux équinoxes, entre lesquels, selon le texte 
de Porphyre, est la place de Mithra (1). 

Autour de ces figures sont disposés les animaux 
de la légende mithriaque ; animaux symbolique?, 
qui comportent presque tous une double acception, 
"^ astronomique et morale. C'est le serpent, la couleuvre 
d'Ahrimann, l'ennemi de la création d'Ormuzd, 
en qui Macrobe voit aussi la ligne onduleiise que 
suit le soleil sur l'écliptique ; le chien, l'ami le plus 
précieux qu'Ormuzd ait donné à l'homme, son 
auxiliaire dans la lutte contre le mal, et qui est 

^(1) Cumont croit Cfue c'est à. ces dadophores que s'appliquent 
les noms de Caùtes et de Cautopates, qu'on lit sur quelques mo- 
numents. Rossi pansait que ce sont des épithètes, au sens d'ail- 
leurs inconnu, qui s'appliquent à Mithra. 



44 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈHES DE MITHRA-, 

encore la constellation qn'on appelle le paranatellon 
du Taureau ; le Scorpion, un des êtres malfaisants 
que suscita la création d'Ahrimann ; est le signe 
céleste qui présage la mort de la nature ; le Corbeau 
« qui s'en va tout joyeux a l'instant où l'aube perce, 
désirant que la nuit ne soit plus la nuit et que le 
monde sans aurore ait l'aurore » (1) ; et qui donne 
en même temps son nom à l'une des constellations 
du printemps (2). Aux pieds de Mithra est placé le 
cratère, qui, d'après Porphyre, symbolise la source 
de vie, et qui lui aussi figure dans les groupes 
stellaires. 11 est en relation avec le Serpent et avec 
le Lion. 

Très souvent au-dessus du Sacrifice, et au cintre 
de la grotte, se déploient les signes du zodiaque. 
Au-dessus encore et au fronton du monument, sont 
représentés, à droite et à gauche, le soleil et la 
lune, tous deux en buste, l'un avec l'auréole radiée, 
l'autre avec le croissant ; souvent aussi le premier 
s'élançant de l'Orient sur un quadrige, la seconde 
s'inclinant vers l'Occident sur un bige. Entre les 
deux, cinq pirées qui sont les cinq planètes. Les 
pirées sont souvent séparés par des pins, dont le 
feuillage constant est symbole d'immortalité. 

A mesure qu'on approche de la fin du iv® siècle, 
la composition mithriaque se complique et se 
charge d'accessoires, de scènes variées et confuses. 
Dans plusieurs monuments, des deux côtés du 

(1) Avesta Yesclit XIV, 20. 

(2) On constate la rareté du coq et de l'aigle qui sont les 
oiseaux sacrés par excellence de l' Avesta. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 45 

tableau du sacrifice, s'étagent une série de compar- 
timents qui représentent probablement des scènes 
d'initiation et d'épreuves. En quelques autres, lacom 
position paraît divisée en trois registres ; celui du 
milieu le plus considérable reste toujours consacré 
au Tauroctone ; le registre supérieur flanqué des 
images du Soleil et de la Lune semble représenter 
le ciel des bienheureux, avec les figures du Sagittaire, 
du Capricorne, peut-être aussi celles des planètes 
sous la forme des divinités hellénique et romaines ; 
le registre inférieur semble vouloir dépeindre des 
scènes doutre-tombe ; banquet des bienheureux, 
délivrance par Mithra, monté sur son char lumi- 
neux, des coupables qui expient, enlacés par 
l'esprit du mal. L'ensemble de la composition 
répond au triple domaine sur lequel règne Mithra, 
dieu du ciel, de la terre et des enfers (1). 



* 



Les mystères de Mithra, comme en général tous 
les mystères de l'antiquité, avaient pour objet d'expli- 
quer aux initiés le sens de la vie présente, de 
calmer les appréhensions de la mort, de rassurer 
l'âme sur sa destinée d'outre-tombe, et par la puri- 
fication du péché, de l'affranchir de la fatalité de la 
génération et du cycle des existences expiatoires. 
Cette libération s'opère par l'entremise d'un dieu 
psychopompe et sauveur, qui lui-même a passé par 

(1) Voir les monuments de Sarmizaegetusa et d'Apulum. 



40 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

l'épreuve, subi une passion et traversé l'éclipse 
d'une mort passagère pour revivre jeune et triom- 
phant (1). 

C'était le dogme fondamental des mystères d'Eleu- 
sis et le sens mystique de la cathode et de V anode de 
Gora, arrachée aux bxas de son ravisseur Iladès et. 
rendue à la lumière, en ■ même temps qu'elle 
ramène pour la nature les floraisons du printemps ; 
symbole- emprunté à la métamorphose du grain de 
blé, qui pourrit de longs mois dans le sol, avant 
de surgir en pousse verdoyante et en épi jaunissant. 
Plus tard, sous l'influence de l'orphisme et des 
religions venues de Thrace ou d'Egypte, la légende 
de Cora se complique et s'enrichit de développe- 
ments nouveaux. A l'fladès primordial se substitue 
Bacchus, l'époux mystérieux de Déméter; le prin- 
cipe de vie se dédouble et se constitue de deux 
éléments, masculin et féminin. De leur union naît 
l'enfant sacré, lacchos ou Zagreus, le Dieu krà tô> 
ixaa-cw, le guide des initiés, le médiateur des âmes, 
le gage de leur rédemption et de leur immortalité» 
Tel est aussi le sens, dans les Dionysies et les mys- 
tères de Liber, de la passion [xk tzx%\j.x-x) et de la 
résurrection de Dionysos. Déchiré par les Titans, 
qui sont les esprits du mal, ses membres dispersés, 
à l'exception du cœur saignant qui est recueilli par 

(1) C'est le sens très clair des deux vers déjà cités, prononcés 
par le prêtre aux mystères d'Adonis ; 

"Etnai fip UjAïv ex xôvwv (rwrr.çîa. 

Et Firmicus Maternus à cette citation ajoute : « Habet ergo dia- 
iolus christos suos », cap. xxiv. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. 47 

Pallas, il est ranimé par Zeus et renaît en une apo- 
ihéose définitive. 11 est, pour les mystes, le principe 
de la force immortelle et libératrice qui circule 
dans la nature, et de la vie qui naît de la mort; 
comme du sarment de vigne desséché par l'hiver, 
émondé par le ciseau, sort, sous la poussée de la 
sève, le bourgeon verdoyant, qui porte les pro- 
messes de l'automne. 

Les mystères orientaux s'inspirent des mêmes 
doctrines et visent aux mêmes enseignements, s'il 
«st vrai que c'est d'eux qu'ils sont parvenus aux 
sanctuaires de la Grèce. Dans la légende d'Adonis, 
dont celle d'Attis n'est qu'une variantOj les femmes 
de Syrie déplorent en leurs lamentations le jeune 
berger, la grâce du printemps et l'amant d'i^Lstarté,* 
tranché dans sa fleur par le boutoir de la bête 
qui symbolise les frimas, puis ranimé et rendu à la 
déesse, au milieu des transports d'une joie fréné- 
tique, qui s'accompagne de délirantes orgies. Plus 
sobre, plus savant, pénétré d'une plus haute 
inspiration religieuse, se déroulait le mythe d'Osi- 
ris dans les sanctuaires d'Abydos et d'Héliopolis. 
Symbole du soleil et de la vie qui en émane, Osiris 
meurt chaque soir à l'occident, pour renaître chaque 
matin en la gloire d'Horus; pendant son éclipse 
apparente il parcourt les royaumes de la mort, 
l'Amenti; il y guide les âmes échappées à l'exis- 
tence terrestre ; iî leur enseigne par quelle voie de 
purification, par quelles épreuves elles doivent pas- 
ser, avant dé pouvoir, allégées de toute matérialité, 
aborder sur la barque solaire aux royaumes' de la 



48 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

lumière. Et c'étaient, avec d'autres symboles, les 
mêmes consolations et les mêmes espérances que sug- 
géraient aux initiés Vanabase et la calabase mithria- 
ques. Semblable à l'Ôsiris égyptien et à l'iacchus 
d'Eleusis, c'était Mithra psycliopompe, qui leur en- 
seignait les voies de la perfection et de la libération 
de l'âme, les soutenait par son exemple dans les 
épreuves, qui leur ouvrait, au terme de l'expiation, 
le seuil de la vie bienheureuse. 

Tous ces mystères supposent un ensemble de 
doctrines sur l'origine spirituelle et immortelle de 
l'âme, sa déchéance et son rachat. Il serait inté- 
ressant d'en rechercher la genèse et de remonter à 
leur source première (1). Les Grecs eux-mêmes, 
presque sans exception, en reconnaissaient la prove- 
nance orientale. Ils en attribuaient l'importation à 
Pythagore, qui passait pour les tenir directement 
ou par l'intermédiaire de Phérécyde de Scyros, des 
sanctuaires d'Egypte et de Chaldée. De fait, elles 
sont absolument étrangères à la religion d'Homère, 
et n'ont rien à démêler avec ses dieux enivrés de 
leur force et enchantés de leur beauté, qui ont si 
intimement pénétré l'art et la poésie helléniques. 
Sans doute la croyance à un principe immortel 
dans l'homme, àla survivance de l'âme, est en germe 
dans le culte des morts et des héros, commun à 
presque toute l'humanité ; mais combien vague, 
imprécise et flottante, avant que les mystères ne 

(1) Voir entre beaucoup d'autres ouvrages : J. Girard, Le senti- 
ment religieux en Grèce; Th. Weil, De l'immortalité de l'âme 
chez les Grecs [Journ. des savants, sept. 1895) ; Rliode, Psyché. 



ESSAI SUR, LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 49 

l'aient formulée en dogme religieux et que Pytha- 
gore et Platon n'aient tenté d'en donner la démons- 
tration philosophique (1). Dans Homère et jusque 
dans Pindare, il ne s'agit guère que d'une immor- 
talité d'exception et d'adoption, objet d'un privilège 
des dieux, d'une immortalité aristocratique. Quant 
à la vie d'outre-tombe elle leur apparaît misérable 
et désolée. Qu'on se rappelle l'enfer de ÏOdi/ssée et 
ces ombres exténuées, sans consistance et sans cons- 
cience, qui ne recouvreQt un moment le sentiment 
et le souvenir, qu'après s'être abreuvées du sang 
chaud et fumeux des victimes, et qui soupirent, la- 
mentablement vers la vie qui les a quittées. Tous 
les peuples de l'Orient, à un certain moment de 
leur évolution, ont passé par des croyances presque 
identiques. On connaît le scheol hébreu « qui ne 
rend pas ses morts m. L'Aralou chaldéen est un 
(c lieu où les morts n'ont que la poussière pour leur 
faim, la boue pour aliment, oii ils ne voient pas la 
lumière, où les ombres, comme des oiseaux de nuit, 
remplissent la voûte ». Les plaintes du ûfoz^ô/e égyp- 
tien, dans la terre de V Occident^ sont aussi expres- 
sives de l'amer regret de la vie. « L'Occident est 
une terre de sommeil et de ténèbres lourdes, une 
place où les habitants, une fois établis, dorment en 
leur forme de momies, sans plus s'éveiller pour 
voir leurs frères, sans jamais plus apercevoir leur 



(1) Pausanias, lib. IV, 32; Maxime de Tyr: Dissert., 16 : « Pri- 
mus Pythagoras Samius inter Grœcos dicereausus est interiturum 
esse corpus suum, animam vero mortis immunem seniique 
evolaturam esse ; prius quam enim hue veniret, exstitisse olim. » 

Gasquet. — Mithra. 3 



50 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITtIRA. 

père et leur mère, le cœur oublieux de leurs femmes 
<3t de leurs enfants. L'eau vive que la terre donne 
è. quiconque vit sur elle, n'est plus ici pour moi 
qu'une eau croupie et morte... Qu'on me donne à 
boire de l'eau qui court ; qu'on me mette la face 
■au. vent du nord, sur le bord de l'eau, afin que 
la brise me caresse et que mon cœur en soit 
rafraîchi de son chagrin (1). » 

Mais l'Egypte et la Chaldée ne s'en sont pas. 
tenues à ces conceptions rudimentaires. Bien avant 
la Grèce, qui devait hériter de leur sagesse, elles ont 
de ces données encore grossières, fait sortir quelques- 
uns de§ mythes grandioses qui ont consolé et récon- 
forté l'humanité. Je rappelle seulement que l'Egypte, 
pour qui la mort fut la grande affaire de la vie, a 
conçu dans les sanctuaires d'Abydos et popularisé 
le mythe de l'Osiris infernal, qui semble bien avoir 
passé delà à Eleusis. La Chaldée et la Perse, qui 
nous intéressent de plus près, connurent aussi l'en- 
seignement consolateur d'un dogme d'immortalité 
pour l'âme. « Les Chaldéensles premiers, écrit Pau- 
sanias, ont dit que l'âme de l'homme est immor- 
telle (2) ». Si nous ignorons à peu près tout de la 
doctrine morale des prêtres de Babylone et de 
NiniA^e, du moins a-t-on recueilli et déchiffré assez 
de fragments de leurs légendes mythologiques, pour 
pressentir les promesses et. les espérances que la 
religion offrait aux hommes pieux et braves. Le 
sombre royaume d' Allât, préservé par ses sept en- 

(1) Trad. Maspero. 

(2) Pausanias, Lib. IV, cap. xxxii. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITORA. 5t 

ceintes, n'était pas irrémédiablement clos. La vo- 
lonté des dieux pouvait l'ouvrir à quelques mortels- 
privilégiés. La déesse Istar put y descendre, et non 
seulement réussite en sortir, mais elle y puisa, à las 
source de vie, l'eau* bienfaisante, l'eau de Jouvence, 
qui devait arracher à la mort son amant Thammouz. 
et lui garder une jeunesse éternelle. Une pensée 
philosophique profonde mettait ainsi au sein même 
de la mort une promesse d'immortalité, dans l'enfer 
morne et désolé une éclaircie vers le ciel des bien- 
heureux. Si difficile que soit l'accès de cette source,, 
gardée par les génies, pour malaisé qu'il paraisse 
d'arracher aux grands dieux le décret particulier 
qui laisse échapper une âme de sa prison, il faut 
croire qu'avec le temps leur volonté faiblit et que 
leur humeur fut plus bienveillante. Un hymne à 
Mardouk l'appelle « le miséricordieux, qui relève 
les morts à la vie » ; à un monarque assyrien ses 
sujets font ce souhait : « la région qui brille comme 
l'argent, les autels splendides, le bienfait de l'état 
de bénédiction, parmi les banquets des Dieux^ 
et les jardins bienheureux dans leur lumière — qu'il 
leshabite, la vie joyeuse dans le voisinage des dieux 
qui habitent l'Assyrie ! (1) » 

Dans le récit chaldéen du déluge, rappelons l'île 
fortunée où les dieux ont placé le patriarche qui a 
sauvé dans l'arche l'humanité nouvelle. Là, fleurit 
l'arbre de vie, là coule aussi la source merveilleuse 
où le héros Gilgamès vient laver ses souillures > 

(1) Voir Ch. Lenormant; Un véda chaldéen. 



52 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

r. 

Rappelons encore l'enlèvement d^Étana par l'aigle 
de Samash, enlèvement suivi d'une chute mortelle, 
oiî nous trouvons en germe à la fois le mythe de 
, Ganymède et celui de Phaéton. 

Mais la plus féconde de ces légendes est à coup 
sûr celle même du héros solaire, Izdiibar ou Gilga- 
mée, qui fait le sujet de la vaste épopée babylo- 
nienne, dont l'histoire du déluge n'est qu'un épisode. 
Tous les Assyriologues, depuis Rawlinson, s'accor- 
dent à diviser cette épopée en douze chants, dont 
chacun se rapporte à l'un des signes du zodiaque. 
C'est probablement l'histoire des victoires du soleil 
sur les constellations qui s'échelonnent sur l'éclip- 
tique, symbolisée par les combats de l'Hercule 
d'Ourou. Le soleil qui l'a sans cesse protégé dans 
ses épreuves, finit par l'adopter, par le réunir à lui, 
et lui délègue l'office de juger les mortels dignes 
de participer au bonheur de l'éternité. Nous trou- 
vons une variante de cette légende, florissante sur- 
tout en Gilicie et en Lydie. C'est encore l'Hercule 
assyrien, mais sous le nom de Sandan, qui finit sa 
vie par la purification suprême du bûcher et dont 
l'âme s'envole vers le soleil sous la forme d'un aigle 
ou du phénix ; « Assyrii phœnica vocant » dira 
Ovide (1). 

Le dogme persan est plus sobre, mais pour la 
première fois, il nous renseigne sur l'origine des 



(1) Sur les idées des Assyriens touchant l'immortalité de l'âme, 
voir Halévy : Les croyances à l'immortalilé de l'âme chez les Chal- 
déens ; et Jeremias : Die Babylonisch-Assyrisclien Vorstellungea 
vomLeben nach dem Tode. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MIinRA. 53 

âmes et de la vie, et à ce titre il nous met sur la voie 
de quelques-unes des doctrines qui firent la fortune 
des mystères de Mithra. Les Férouërs ou Fra- 
vashis sont non pas précisément les âmes, mais 
comme l'entendra Platon, les types éternels des 
choses. Tout être créé ou à naître a son l'ravashi. 
Ils résident au sein de la lumière d'Ormuzd. On 
voudra plus tard leur assigner une place plus pré- 
cise, leur domicile sera la voie lactée ou les millions 
d'étoiles qui constituant l'armée céleste. Ces fé- 
rouërs, principes de connaissance et de vie, se 
prêtent temporairement à des formes mortelles, plus 
par dévouement à l'œuvre de salut" d'Ormuzd que 
par inclination pour les choses terrestres. Mais ils 
sont en même temps des mânes. L'enveloppe qu'ils 
ont revêtue une fois anéantie par la mort, ils 
remontent au fonds originaire des ci eux, et vont 
grossir l'armée des purs qui forment- l'assemblée 
céleste. Spirituels et indestructibles dans leur 
essence ils vivent éternellement. Cette croyance se 
concilie avec la doctrine du jugemenl des âmes, de 
leur mérite et de leur démérite. Car il est souvent 
question dans l'Avesta de peines et de récompenses. 
« Celui qui est pur de pensée, dit Ormuzd, pur de 
parole et pur d'action, ira éclatant de gloire dans 
les^ demeurés du behesht. Il sera, ô Zoroastre, au- 
dessus des astres, de la lune, du soleil. Je me 
charge de le récompenser, moi qui suis Ormuzd, le 
juste juge (1) ». Ailleurs « l'homme pieux demande 

(I) Venelidad, farg. VIL • 



• 



54 ESSAI SUR LE GULTE-ET LES MYSTÈRES DÉ MITHRA. 

que son âme parvienne au lieu de lumière et n'aille 
pas dans le lieu des ténèbres. » Et le Boundehesh 
formulera plus courtement tout cet ensemble de 
croyances. « L'âme est une lumière qui. à la nais- 
sance, descend du ciel, et qui, à la mort y 
retourne ». 



* 

•¥• ♦ 



Voyons maintenant l'application que les mi- 
thriastes ont faite de ces idées et de quelles formes 
symboliques ils les ont enveloppées. 

Le dogme mithriaque de la catabase et de Vana- 
base (quelques auteurs emploient aussi les termes de 
cathode QÏ d'anode^ â^hypobase et de 'parembolé) 
n'est expliqué dans son ensemble et dans ses déve- 
loppements par aucun des auteurs de l'antiquité. Il 
se déduit et s'éclaire pour nous par le rapproche- 
ment, que nous allons tenter, de divers fragtnents, 
empruntés principalement à Celse, à Porphyre et 
à Macrobe (1). 

Les symboles astronomiques de la grotte repré- 
sentaient la voûte du ciel et la double révolution 
céleste, celle des étoiles fixes et celle des planètes, 
les premiers séjour de lumière et de splendeur, 
habitacle des dieux et des bienheureux ; les secondes 
réservées à l'évolution des âmes. 

Porphyre ajoute : « Numénius et son ami Gronius 
disent qu'il y a dans le ciel deux points extrêmes, 
l'un dans la partie du ciel la plus méridionale est 

(1) Origènes : Jn celsum, VI, 22. Porphyre : De aniro nympha- 
rum, cap. X-XXII. Macrobe : In somniiim Scipionis, C. XI. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES -DE MITHRA. 55- 

au tropique d'hiver; l'autre dans ta partie la plus 
septentrionale est au tropique d'été. Le point esti- 
val est sur le signe du Cancer ; le point hivernal sur 
le signe du Capricorne. Et comme le signe du Can- 
cer est pour nous le signe le plus rapproché de la 
terre, on l'attribue avec toute raison à la lune, qui 
est la plus voisine de la terre, tandis que le pôl& 
austral n'étant pas visible pour nous, on attribue 
le Capricorne à Saturne, la plus éloignée et la plus 
élevée des planètes. 

« Les théologiens établissent que le Cancer et Ifr 
Capricorne sont les deux portes du ciel {-kùXoh). 
Platon les appelle les deux ouvertures (c7T:[j/.a). Ils- 
disent que le Cancer est la porte par laquelle des- 
cendent les âmes, et le Capricorne celle par laquelle 
elles remontent. Le Cancer est au nord et favorable 
à la descente ; le Capricorne au midi et favorable 
à l'ascension. Car les régions septentrionales sont 
propres aux âmes qui descendent dans la généra- 
tion. 

« De niême les théologiens ont établi pour portes 
des âmes le Soleil et la Lune, disant que le soleil 
est la porte par laquelle montent les âmes, la lune 
celle par où elles descendent. » 

Ces mêmes portes sont ailleurs appelées. « portes 
des- hommes » et « portes des dieux » parce que 
par l'une les âmes descendent s'incarner en des corps 
humains, et que par l'autre elles rentrent au séjour 
de la divinité. Leur invention date des temps les 
plus lointains • de l'astrologie chaldéenne. « Les 
positions des dieux Bel et Ea, il fixa lui-même — 



56 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

dit une tablette ninivite — et il ouvrit les grandes 
portes dans l'obscurité. Par l'une sort Ourou (la 
lune) pour dominer la nuit — par l'autre à l'Orient 
sort Samash (le soleil) » On les nommait Portes d'Ea 
et de Bel, et l'on donnait le nom de chemin d'Ea et 
de Bel à la route tracée par le soleil sur l'écliptique. 

Du Cancer au Capricorne les signes de constella- 
tion s'échelonnent dans l'ordre suivant:. le Lion, 
séjour ou mansion du Soleil, la Vierge de Mercure, 
la Balance de Vénus, le Scorpion de Mars, le Sagit- 
taire de Jupiter, le Capricorne de Saturne. Dans 
l'ordre inverse, du Capricorne au Cancer, le Ver- 
seau devient la mansion de Saturne, les Poissons 
de Jupiter, le Bélier de Mars, le Taureau de Vénus, 
les Gémeaux de Mercure, enfin le Cancer de la 
Lune. Quand à Mithra, il siège exactement entre 
les deux équinoxes. C'est pourquoi, dit Plutarque, 
on l'appelle médiateur. « Il tient le glaive du Bélier, 
signe de Mars et il est porté par le Taureau, signe 
de Vénus ». Car il est le dieu de la génération, celui 
par qui la vie s'entretient ici-bas, en même temps 
qu'il préside à l'évolution par laquelle les âmes 
entrent dans la vie et en sortent. 

On remarquera que ce planisphère céleste répond 
à l'exaltation du soleil dans le signe du Bélier, dans 
le temps où le Bélier et la Balance sont les deux 
points équinoxiaux. C'était celui dont usaient les 
mithriastes, ainsi qu'en témoignent les monuments, 
où les signes du zodiaque se déploient au cintre de 
la grotte des mystères. Six d'entre eux sont tournés 
vers la droite, les six autres vers Iq, gauche ; mais 



ESSM SUR LE CULTE ET LES -MYSTÈRES DE MITHRA. 57 

c'est toujours le Bélier qui commence là série. Ce 
système ne répond pas au plus ancien calendrier 
chaldéen, à celui qui avait présidé aux vieilles cos- 
mogonies. Il était disposé d'après l'exaltation du 
soleil dans le Taureau, date à laquelle, pour les 
théologiens de Perse et de Chaldée, avait com- 
mencé le monde. Le Taureau et le Scorpion étaient 
alors les points équinoxiaux ; le Lion et le Verseau 
les points solstitiaux (1). 

La conjonction du Soleil avec la constellation du 
Déliera commencé en l'an 2266 avant Jésus-Christ. 
Il faut donc faire remonter à cette date les modifica- 
tions introduites dans le calendrier et le planisphère 
Chaldéen. Mais d'autre part, à l'époque de Celse et 
de Macrobe et de la grande faveur des mystères de 
Mithra, ce planisphère avait à son tour cessé de 
répondre au tableau réel du ciel. Depuis cent-vingt ans 
environ av^ant notre ère, le Soleil était entré dans 
le signe des Poissons. Les Mithriastes se servaient 
donc d'un planisphère qu'ils savaient inexact. Mais 
ce planisphère était consacré par une tradition très 
lointaine et remontait à l'époque où leurs dogmes 
avaient été arrêtés et fixés. Us continuaient à en. 
faire usage, malgré sa désuétude, à cause de l'im- 
portance qu'avaient prise dans leur théologie le 
Taureau et le Bélier. 

Un texte capital de Celse nous apprend au moyen 
de quel symbole les Mithriastres figuraient la des- 
cente et l'ascension des âmes et les étapes qu'illeur fal- 

. (1) V. Jensen : Kosm-der BabyL p. 89-93 et p. 315. 



^8 ESSAI SUH LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. 

lait parcourir, une fois que de la Lune elles des- 
cendaient par la porte du Cancer « dans les voies de 
la génération » c'est-à-dire dans l'espace interpla- 
nétaire. «C'est, dit-il, une échelle ou escalier qui a 
sept portes et au-dessus une huitème. La première est 
de plomb, la deuxième d'étain, la troisième d'airain, 
la quatrième de fer, la cinquième de métaux 
mélangés, la sixième d'argent, la septième d'or. Ils 
attribuent la première à Kronos (Saturne) témoi- 
gnant par le plomb la lenteur de cet astre. Ils rap- 
portent la deuxième à Aphrodite à cause de l'éclat 
et de la mollesse de l'étain, la troisième à Zens à 
cause de la dureté de l'airain, la quatrième à Hermès, 
parceque il passe parmi les hommes pour être dur 
à la peine et fécond, comme le fer, en utiles travaux, 
la cinquième à Mars, sa nature mixte le rendant 
inégal et varié. Enfin les Perses attribuent à la lune 
la sixième porte et au Soleil la septième, qui est d'or, 
parceque ces deux métaux ont la couleur de la Lune 
et du Soleil. « Nous n'insisterons ici, ni sur les cou- 
leurs, ni sur les métaux attribués à chaque planète^ 
ni sur les secrètes influences que les anciens sup- 
posaient à. ces astres sur la formation des métaux dans 
le sein de la terre. Nous remarquerons en passant 
que l'ordre dans lequel les planètes sont énumérées 
répond à celui des jours de la semaine, si on la fait 
commencer par le samedi, qui pour nous la ter- 
mine. Ces sept portes sont les sept stations de 
l'âme, soit qu'elle s'appesantisse vers la terre, soit 
qu'elle remonte à sa source première, à ce séjour 
de la divinité, auquel on accède dans la construction, 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 59 

de Celse, par la huitième porte. ''A cliacTin des 
paliers, nous le savons d'ailleurs, se tient un génie 
ou archôn^ qui ne laisse passer l'âme, ou dans les 
mystères l'initié, qu'après s'être assuré de son état 
de perfection et de purification. 

De l'escalier de Celse il serait facile de rapprocher 
bien des traits épars dans les historiens, qui confir- 
ment l'authenticité de cette conception symbolique ; 
depuis les sept enceintes d'Echatane, décrites par 
Hérodote et peintes de la couleur des métaux, jus- 
qu'au songe de Viraf dans le livre persan, le Viraf- 
namch. Le songeur est au pied d'une échelle mys- 
térieuse dont il monte successivement les sept 
degrés ; à chacun d'eux, il est introduit dans un ciel 
particulier, jusqu'à ce qu'il arrive au huitième, où il 
trouve Zoroastre entouré de ses fils et des âmes des 
purs, et où il goûte les joies de la félicité éternelle. 

Il est un lieu des âmes candidates à la vie. Les 
vieux théologiens d'Egypte et de Chaldée, suivi 
d'ailleurs par les (jrecs, le plaçaient, comme nous 
l'avons vu, dans la Lune (1). C'est pourquoi le Tau- 
reau, symbole de la génération, était consacré à cet 
astre et pourquoi tant de déesses asiatiques, comme 
Hathor et Isis sur les bords du Nil, sont figurées 
avec.le croissant sur le front, ou traînées par un bige 
attelé de taureaux. Mais pourquoi cette chute origi- 
nelle? qui la détermine? quelle est la raison de 
ces étapes à chacune des planètes ? A toutes ces 
questions Porphyre répond dans un passage obscur 

(1) Èv vî Tr,ç yzvé(jh(x)ç àtTc'at ■Kà.cn\z. Proclus : Comment, à la Rép. de 
Platon, ch. xxr. 



60 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITIÎRA. 

et confus (1), qui nous ouvrirait peu de jour sur ces 
mystères, s'il n'était illustré par quelques pages très 
précises de Macrobe. Le philosophe grammairien, 
dans son Commentaire du songe de Scipion, passe 
en revue les diverses opinions des sages sur -les 
destinées de l'âme. On reconnaît les doctrines de 
Platon, de Pythagore, des néoplatoniciens, celles 
des Isiaques. Il en vient enfin à celle qui nous 
occupe. 11 ne désigne pas expressément la secte 
mithriaque ; mais il n'est pas possible de se mé- 
prendre^ puisque lui-même a soin de nous renvoyer 
au De antro Nym,pharum de Porphyre. Il insiste 
tout particulièrement sur cette doctrine ; on sent 
qu'elle lui est chère et il ne dissimule pas les préfé- 
rences qu'il a pour elle (2). 

« La Lune, dit-il, est le lieu où la vie et la mort 
. se limitent et se touchent; c'est de là que les âmes 
coulent à la terre pour y mourir et s'élever ensuite 
aux régions supérieures, où elles recouvrent la vie. 
A la lune commence le royaume des choses cadu- 
ques et qui passent ; d'elle que les âmes commen- 
cent à tomber sous le domaine et du temps et des 
jours ». 

Dans un bonheur infini, libres de toute cqntagion 
corporelle, et les possèdent le ciel. Cependant de cette 
haute et perpétuelle lumière elles aspirent à descen- 
dre. C'est l'appétence du corps, un désir latent de 
volupté, le poids seul delà pensée de la terre qui les 
entraîne. Elles s'enivrent d'un miel qui leur verse 

(1) De ant. Nymph, cap. xvi. 

(2) Quorum sectfB amicior est ratio. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 61 

l'oubli des choses éternelles et ^réveille en elles 
l'appétit des charnelles (1). Mais ce n'est pas d'un 
coup et brusquement, que de son incorporalité par- 
faite, l'âme en vient à revêtir un corps de boue péris- 
sable. La chute est graduée. De la porte du Cancer, 
elle glisse aux sphères subjacentes et s'arrête à cha- 
cune d'elles. A mesure qu'elle descend de Tune à 
l'autre, elle perd de sa pureté première et ressent 
des altérations successives de sa perfection. Elle se 
gonfle et se sature de chacune des substances sidé- 
rales qui émanent de l'astre, chaque sphère la revêt 
d'un éther moins pur, d'une enveloppe de plus en 
plus sensible. Elle éprouve autant de morts par- 
tielles qu'elle traverse de mondes, jusqu'à ce qu'en- 
fin, de chute en chute, elle parvienne à celui qu'on 
appelle le monde delà vie. En même temps, chaque 
planète la dote des facultés nécessaires à son nouvel 
être. Saturne lui confère le raisonnnement et le- 
calcul, Jupiter l'énergie active, Mars l'ardeur pas- 
sionnée, le Soleil l'imagination et le sentiment,. 
Vénus le désir. Mercure l'hermémeutique, c'est-à- 
dire, la faculté de s'exprimer: la Terre enfin celle 
de croître et de grandir; car la dernière des qua- 
lités divines est la première des nôtres » (2). 

Pour revenir au bonheur qu'elle a perdu, l'âme 
suit une route inverse : les degrés qu'elle a descendus, 
à nouveau elle les franchit et stationne à chaque pla- 
nète. Elle s'allège de la substance prêtée par cha- 

(1) Porph. : Coeuiidi voluptas mellis dulcedo significat. 

(2) Oa remarquera que l'ordre des planètes n'est plus celui d& 
Celse. 

Gasquet. — Uithra, 6 



■62 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

•cune d'elles; elle se dépouille successivement de 
tous les éléments d'emprunt de sa corporalité, jus- 
qu'à devenir Fâme pure qu'elle était dans sa condi- 
tion première, toute spirituelle et semblable aux 
dieux. 

Ces symboles astronomiques, cette septuple vôture 
«t le dépouillement successif qui lui répond, nous 
ramènent directement aux rites et aux usages les plus 
-anciens de la Chaldée. 

Là, sous l'influence de la religion qui domine 
toutes les manifestations de la vie, les nombres 
trois, douze, mais surtout le nombre sept, régnent 
•en souverains. Sept est le chiffre sacré. Le Temple, 
image réalisée par l'homme de Tordre cosmique, 
•est la haute tour à sept étages, en recul l'un sur 
l'autre,, reliés par de larges rampes d'escaliers exté- 
rieurs, où se déroule à l'aise la pompe des proces- 
sions. Au-dessus du pays, elle se dresse gigan- 
tesque, écrasant tout de son énormité, portant son 
faite aussi haute que les pyramides d'Egypte. Quel- 
ques-unes de ces tours ont compté jusqu'à 180 mè- 
tres. Sept bandes de couleurs la bariolent de leurs 
tons tranchants et hardis. Les briques de la tour 
de Korsabad portent encore dans le stuc des traces, 
de l'émail, blanc, noir, pourpre et bleu qui les cou- 
vrait, etles ruines amoncelées trahissentles vestiges 
du vermillon, de l'argent et de l'or. Ainsi sont 
reconstitués les sept étages aux couleurs variées, 
consacrés aux sept j)lanètes. L'inscription de Nabu- 
chodonozor sur la tour de Borsippa qu'il fît res- 
taurer, donne à cette tour le nom de « Temple des 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 63- 

sept lumières ». Chacune d'elles'^a son étage, sa 
demeure particulière, sa chapelle pratiquée dans 
" l'épaisseur de la construction. Au sommet se dresse le 
sanctuaire du dieu, Anou, Nébo, Sin, ou Mardouk, 
splèndide édicule, oii s'est donnée carrière la ma- 
gnificence du monarque. Parfois, la statue du dieu s'y 
dresse, faite de métal précieux et son esprit habite 
ce simulacre; d'ordinaire, on y voit le lit où il est 
censé reposer, la table où les prêtres lui apportent 
les offrandes. « J'ai couvert d'or la charpente du lit 
de repos de Nébo, dit Nabuchodonozor ; les tra- 
verses de la porte des oracles ont été plaquées d'ar- 
gent. J'ai incrusté d'ivoire les montants, le seuil et 
le linteau de la porte du lieu de repos. J'ai recou- 
vert d'argent les montants en cèdre de la chambre des 
femmes, etc. » (1). Qui ne reconnaîtrait ù ces détails 
et à cet ensemble, l'escalier mithriaque de Gelse, 
prodigieusement agrandi? Qui ne voit que la ziggurât 
babylonienne en est le prototype et le modèle? 

Les cérémonies religieuses obéissent au même 
rythme numérique. On connaît le poème d'Istar, 
veuve du « fils de la vie » descendant pour le sauver 
dans « le pays immuable de la mort o. Ce poème 
is'adaptait évidemment, comme l'a remarqué Gh. Le- 
normant, aux diverses phases d'une cérémonie sym- 
bolique, et « se jouait dans les temples, comme une 
sorte de mystère » (2). Ce pays, où se rue dans sa 



(1) Voir Maspf^ro ; Tom. I, la Chaldée. Perrot et Chipiez: 
Histoire de Cari. Tom. II. Babelon : Manuel d'archéol. orientale^ 
p. 84. 

(2) Gh. Lenormaut. Le déluge et l'épopée babylonienne. 



64 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. 

passion la violente déesse, FAralpu, est divisé en 
sept cercles, sur le modèle des sphères célestes. Elle 
franchit les sept enceintes ; à chacune le serviteur 
d'Allat, la déesse des ombres, la dépouille d'un de 
ses vêtements, depuis la tiare jusqu'au voile de sa 
pudeur, pour qu'elle paraisse nue devant la sombre 
divinité. Au retour, dans le même ordre, ses vête- 
ments lui sont rendus, après qu'elle a obtenu, pour 
celui qu'elle pleure, l'eau de la source scellée au 
seuil de l'enfer. 

Si la bibliothèque d'Assourbanipal nous avait 
conservé un rituel liturgique des cérémonies de 
Babylone, nous constaterions vraisemblablement 
que la plupart sont enfermées dans le même cadré, 
s'y développent avec les mêmes formules et que 
lazigguratenest aussi le théâtre. Les débris mutilés 
de la cent soixante-deuxième tablette ninivite semble 
bien une page de ce recueil que nous regrettons. 
Il s'agit d'une fête analogue « aux Plinthéries athé- 
niennes ou au bain de la Pallas argienne », de la 
purification d'une déesse-nature. Elle monte les 
longues rampes des escaliers de la ziggurat. A cha- 
cune des sept portes, un dialogue s'engage entre la 
déesse et le prêtre, qui garde l'entrée du sanctuaire : 

« Entre, ô dame de Tiggalâ 

que le sanctuaire du dieu immuable se réjouisse 
devant ta face. » 

Il la dépouille d'une partie de son costume; et 
elle va ainsi, de degré en degré, jusqu'à ce qu'elle 
pénètre nue dans le sanctuaire supérieur, qui figure 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 65 

l'empyre. Là, d'autres déesses s'enipressent autour 
d'elle, la purifient par des lustrations et des exor- 
cismes; puis leur office terminé, elles la laissent 
redescendre et compléter d!étage en étage l'ajuste- 
ment qu'elle a quitté (l). 

La scène est trop confuse, le texte a trop de 
lacunes pour qu'il soit possible de déterminer la 
nature même de la cérémonie, dont nous saisissons 
seulement l'allure générale. Mais renversez l'ordre 
de cette cérémonie, appliquez à l'âme la double 
évolution accomplie par la déesse; vous aurez 
l'exacte description de la catabase et de Vanabase 
des mystères. Tout l'appareil extérieur oii le dogme 
est inclus s'est fidèlement conservé. 

Nous ne signalerons qu'en passant la fortune de 
ces symboles et la trace qu'ils ont laissée dans les 
spéculations des philosophes grecs et latins. Bien 
avant Gicéron et avant Porphyre, dont la doctrine 
propre est toute pénétrée d'idées mithriaques, 
Platon lui-même en a subi l'influence, à travers la 
tradition de Pylhagore, et par les Pythagoriciens 
qui sont les interlocuteurs du Timée et de la Répu- 
blique. Son imagination, plus orientale qu'hellé- 
nique, se plaît à emprunter aux cosmogonies an- 
tiques, les mythes dont il enveloppe ses doctrines 
sur l'origine et la fin 'des âmes. A cet égard, le 
mythe d'Er l'Arménien nous paraît significatif. On 
se souvient du fuseau de la destinée, qui est l'axe 
du monde, et de ce peson, formé de huit sphères 

(1) Gh. Lenormairit : Commentaire deBérose (la fin du volume). 

6. 



€6 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITDRA. 

emboîtées, aux couleurs différentes, qui sont les 
planètes ; sur le rebord de chacune chante une 
sirène, et l'union de ces notes différentes donne 
l'accord parfait, symbole de l'harmonie univer- 
selle (1). Cet Er l'Arménien a fait activement tra- 
vailler l'imagination des philosophes. C'était unhéros 
solaire, proche parent du Sandon Lydien ou du 
Sandan de Tarse, et qu'adoraient les Pamphyliens. 
Clément d'Alexandrie fait à son sujet d'intéressantes 
réflexions. Et d'abord il voit en lui Zoroastre lui- 
même. La légende rapporte qu'il resta douze jours 
étendu sur le bûcher, puis ressuscita. Cette durée 
« faisait allusion à l'ascension des âmes et à leur pas- 
sage à travers les douze signes du zodiaque » (2). 
Proclus à son tour, dans son Commentawe au 
dixième livre de la République, relève les innom- 
brables discussions dont ce texte a été l'objet (3). Il 
rappelle que pour l'épicurien Colotès, Er de Pam- 
phylie n'était autre que Zoroastre ; pour Kronios, 
il en était le disciple et l'élève, tant le mythe pla- 
tonicien leur paraissait bien emprunté à des sources 
persanes. Peut-être trouvera-t-on plus saisissant 
encore de ressemblance, le rôle attribué par Platon 
aux astres dans la formation des âmes des hommes. 
Emanation directe de l'âme sidérale, elles reçoivent 
des corps célestes, identifiés à des dieux [divinisa 
animata mentibus^ traduira Cicéron), les éléments 

(1) Celse établit que les Mithriastes reconnaissaient une rela- 
tion entre les sept notes de la gamme et les sept planètes. 

(2) Clem. d'Alex. Stromat, L. V., 14 Tov oï Zopoâorpïiv xoîi-ov » 
IlXaTwv ûtùoexaTÔtiov km ir\ Trypa xeîasvov àvaêtdivat Xeyet. 

(3) Proclus. Coriimenl., p. GO éd. Schœll. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 67 

sensibles qui les appesantiront vers la terre, de 
sorte qu'elles participent par leur intermédiaire à 
l'âme universelle et à la raison divine. Quant au 
Soleil, le plus éclatant de ces luminaires célestes, 
la SOTirce de toute vie et de toute chaleur, il est pour 
Platon, le fils du Dieu suprême, celui que le Père a 
engendré semblable à lui-même (ovTàyaOov h{b)rrpfi- 
àvaXoyov sauTw), dieu sensible, qui crée les choses vi- 
sibles et leur communique l'être et la vie. Paroles 
inquiétantes, dangereuse collusion d'images et 
d'idées ! Toute la Gnose se prendra plus tard à leur 
mirage. 



* 



J'en viens à la , manifestation la plus connue^ 
mais pourtant la plus mystérieuse du culte d& 
Mithra, celle que les monuments ont rendue la plus 
familière à nos yeux, le sacrifice dû Taureau. 

Il est fort malaisé de démêler les sens précis et 
très divers de cette image. Les mystes, obligés au 
secret sur la doctrine révélée des mystères ont bien 
tenu leur serment ; rien de certain n'en a transpiré 
au dehors ; les hésitations et les contradictions des 
amis aussi bien que des adversaires de la secte, 
prouvent combien fut absolue cette discrétion. Res- 
tent donc les monuments. Ils suffisaient aux initiés, 
au courant delà symbolique du culte, pour retrou- 
ver sous les images le sens de l'enseignement donné 
par les prêtres. Ils constituent pour nous une langue 
presque inconnue, périlleuse à déchifirer, féconde 



68 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITtlRA. 

en erreurs, où l'intuition la plus sûre d'elle-même 
est sujette à faillir. 

Dans toutes les religions antiques, ariennes ou 
sémitiques, le Taureau représente le dieu solaire qui 
déchaîne l'orage. C'est lui qui, de ses traits d'or, fé- 
conde les vaches, c'est-à dire les nuées, qui fait des- 
cendre sur les terres desséchées les pluies bienfai- 
santes, et qui, au fort de la tempête, remplit l'air de 
ses mugissements. Il est le dieu de la génération et 
de la fécondité ; en même temps qu'il est le signe 
de l'équinoxe de printemps, qui marque le réveil de 
la vie dans la nature. L' Indra védique est le Taureau 
divin, comme aussi Mardouk ou Anou de Babylone 
et l'Horus d'Egypte. Osiris a pour incarnation sen- 
sible la bœuf Apis. Chez les Grecs, Zeus se trans- 
forme en taureau pour enlever Europe ou séduire 
Pasiphaë. Le Bacchus des mystères est figuré sous 
la forme d'un taureau ou le front armé de cornes, 
d'oii son surnon de Po;jysvy)ç. Les femmes d'Elée, 
pendant les fêtes du printemps, chantaient un hymne 
célèbre : « Accours, divin Bacchus, escorté des 
Grâces, porté sur tes pieds de bœuf: accours, divin 
taureau, taureau bienfaisant ! «Mitlira, comme toutes 
ces divinités, est aussi le taureau, « le mâle du trou- 
peau » dont parle l'hymne persan, « l'auteur des 
choses et le maître de la génération », comme 
s'exprime Porphyre. 

Dans les mêmes pays et dans les mêmes mylholo- 
gies la Lune est aussi le Taureau, dont les coriies imi- 
tent le croissant de l'astre nocturne. On sait que les 
théologiens d'Orient regardaient la Lune comme le 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 69 

conservatoire des germes qui assurent la propa- 
gation de la vie « Elle a, dit Plutarquet, la propriété 
de produire et d'humecter, favorise la génération 
des animaux et la végétation des plantes ; fécondée 
et rendue mère par le Soleil, elle pénètre l'air à son 
tour et y répand des principes de fécondité » (1). 
Porphyre nous dit de même. « La Lune préside à 
la génération et son point d'exaltation est le Tau- 
reau » (2). C'est sous une figure bovine que toutes 
les déesses de la fécondation, Isis, Hathor, les 
Astartés phéniciennes, les Vénus et les Dianes de 
l'Asie sont représentées. 

Mais dans le tableau mithriaque, tout en gar- 
dant son double caractère solaire et générateur, ce 
n'est pas comme personne divine, mais comme 
symbole représentatif que le Taureau nous appa- 
raît. Le rôle actif et souverain est dévolu à Mithra, 
qui préside à l'évolution du monde stellaire et en 
dirige en maître les mouvements. C'est bien lui que 
décrit Claudien: 

Vaga volventem sidéra Mithram (3) 

Il s'élance. Dieu jeune et triomphant ; le 
ciel, comme dit TAvesta, est son vêtement, et 
dans les plis de son manteau livré au vent, transpa- 
raissent les constellations en marche. Tout parle 
dans ce tableau de renouvellement, de résur- 
rection et de vie naissant de la mort. Si l'un des 

(1) Plutarque. De Isidé, cap. xli et xlhi. 

(2) Porphyre. De anlro Nymph., ch. xviii. 

(3) De Consul. Slilieh., Lib. I, v 63. 



70 ESSAI SUK LE CULTE ET LLS MYSTÈRES DE MITQRA-. 

dadophores incline vers le ciel son flambeau éteint, 
l'autre élève le sien tout en flammes. Le pin dresse 
tout auprès son feuillage d'immortalité ; il est 
l'arbre de vie des anciennes légendes. La bête 
immolée c'est le soleil annuel. Entre ses pattes 
se glisse un scorpion qui pince et ronge ses parties 
génitales ; c'est le signe de l'équinoxe d'automne 
qui tarit la fécondité de l'année et épuise sa force 
productrice. Mais au-dessus du soleil mourant, un 
jeune soleil monté sur un quadrige, lancé à pleine 
allure, recommence sa course. En d'autres com- 
positions, c'est le Lion, symbole de l'été brûlant 
qui égorge le taureau, c'est-à-dire l'été qui dévore 
le printemps. Le corbeau, percbé sur l'épaule ou 
au-dessus du sacrificateur, annonce l'aube nouvelle, 
ou, comme dans la légende chaldéennè du déluge, 
la vie qui va pouvoir renaître sur la terre renouvelée. 
Pour accentuer la signification astronomique de 
l'ensemble, dans un grand nombre de monuments, 
la série des signes zodiacaux se développe au- 
dessus du Mithra tauroctone. 

Mais ce taureau est en même temps le taureau 
persan. Il est le taureau primordial « créé unique 
par Ormuzd », ou plutôt, comme le fait entendre le 
terme zend, le premier des êtres vivants, la pre- 
mière manière organisée et animée. Sitôt créé, 
l'esprit du mal porte sur lui le besoin, la soufl'rance 
et la maladie. Sous ces coups répétés, le taureau 
s'amaigrit, dépérit et meurt. De chacun de ses 
membres sourdent les diverses espèces de graines 
et déplantes salutaires, de. sa semence les animaux 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 71 

utiles à l'homme. Ce qu'il en reste est porté dans la 
sphère de la lune et purifié par la lumière de l'astre. 

L'âme du taureau s'échappe à son tour ; elle se 
dresse devant le Créateur, et d'une voix aussi forte 
que celle de dix mille hommes et qui résume la 
plainte de toute la création, vouée à la misère et à 
la mort, elle lui crie : « A qui as-tu confié l'empire 
des créatures que le mal ravage la terre et que les 
plantes sont sans eau? Où est l'homme dont tu 
avais dit : je le créerai pour prononcer la parole se- 
courable? » Ormuzd emporta l'âme plus haut que le 
ciel des planètes et des étoiles fixes, et, pour la con- 
soler, lui montra le ferouër de Zoroastre, en disant : 
« Je le donnerai au monde pour lui apprendre 
à se préserver du mal. » Plus tard et à la fin 
des temps, de la semence de Zoroastre, portée 
comme celle du taureau dans la lune, naîtra 
Çaoshyo^ le Sauveur, qui consommera la ruine 
d'Ahriman, et par la vertu d'un second sacrifice du 
taureau, donnera aux hommes l'immortalité à tout 
jamais. 

Gr le taureau mithriaque est bien sûrement le 
taureau de l'Avesta ; de sa queue sortent des épis de 
blé; il en jaillit de sa blessure ouverte; il meurt, 
mais répand sa semence que recueille le cratère, 
où s'élabore là vie de l'avenir. A ses pieds se déroule 
le serpent, qui est Ahriman, le meurtrier de l'être 
primordial; c'est lui l'antique Ahi, qui porte le 
besoin, la maladie et la mort sur le premier né 
d'Orrnuzd. II se dresse pour boire le saiig jailli du 
couteau sacrificateur, c'est-à-dire, pour saisir l'âme 



72 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MÎTHRA. 

qui s'échappe (1). Mais le chien l'en écarte, le 
chien, l'animal sacré par exceUence, qu'Ormuzd 
considère presque à l'égal de l'homme, dont il 
estime la vie presque au même prix. <( Celui qui le 
tue donne la mort à son âme» (2). C'est si bien cette 
scène de la dispute de l'âme entre le serpent et le 
chien, que décrit le tableau mithriaque, qu'encore 
aujourd'hui les Parsis approchent un chien de la 
bouche des mourants, pour qu'il dispute l'âme qui 
va s'envoler à l'esprit du mal. Car « un regard du 
chien met en fuite les devas. » 

Au figuré, le Taureau de la légende persane 
représente donc la créature, l'être engagé dans les 
liens de la matière, en proie au mal physique et 
au mal moral, le principe humide et terrestre, 
comme l'explique Aristote, opposé au principe igné 
et céleste, représenté par le Lion, l'être humain 
avec ses faiblesses, ses défaillances^ ses souillures, 
j'oserais dire, la bête humaine. C'est cet être de chair 
et de péché, alourdi par ses instincts, qu'il faut 
affranchir et libérer. Car, ainsi que l'enseigne Hera- 
clite, au sujet de ces âmes humides et tombées dans 
/«^e>ie>«^zo?2,(( vivre pour elles, c'est mourir, et ce que 
nous appelions la mort, c'est pour elles la vie (3) ». 
C'est ainsi que le sacrifice du Taureau assure le 
salut. C'est à cette immolation volontaire et absolue 
que Mithra, par son exemple, convie ses fidèles. 

(1) Quelquefois le serpent au lieu de s'élancer vers le sang du 
taureau, plonge sa gueule dans le cratère. C'est au fond la même 
idée exprimée sous deux formes diiierentes. , • 

(2) Voir Vendidad. Fargard, XIII, touientier. 

(3) Porphyre. De antro Nymph., cap. x. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTERES DE MITHRA.- 73 

Mais ce sacrifice est de plus un sacrifice de rédem- 
ption, — caries anciens recherchaient ces symboles à 
sens multiples, cfui permettaient de graduer l'initia- 
tion, suivant l'instruction et la sainteté du myste. — 
L'animal chargé des péchés de l'homme et offert 
•en holocauste rachète le pécheur et satisfait la 
•divinité. • 

Cette conception est à la fois une des plus an- 
ciennes et des plus générales de l'humanité. Elle 
suppose celle d'un Dieu vindicatif et jaloux dont 
il est nécessaire de désarmer la colère et de se 
concilier la faveur par l'offrande des prémices les 
plus précieuses; c'est là l'origine des holocaustes 
•sanglants de Babylone, de Tyr et de Carthage, 
des prostitutions sacrées et des dévouements hé- 
roïques, comme ceux des Décius à Rome. De 
cette idée, l'on passa à celle plus humaine de la 
substitution, qui, par une sorte de supercherie 
sacrée, permet de charger de l'expiation personnelle 
ou collective, une victime volontaire ou choisie, 
qui peut être l'animal du troupeau. Ce point de 
vue apparaît, en Israël, dans le sacrifice d'Isaac, 
dont un bélier prend la place sous le couteau 
d'Abraham, dans les prescriptions du Lévitique, 
dans le célèbre passage d'Isaïe sur l'agneau symbo- 
lique (1). Aussi dans les sanctuaires de l'autiquité, 

(1) Lévitique : ch.xvi : « Aaron prendra deux boucs parmi les 
•chèvres pour les péchés et un bélier eu holocauste... Quant à 
l'autre bouc, il l'égorgera pour les péchés du peuple devant le 
Seigneur, et il apportera de son sang du côté intérieur du voile, 
•et il répandra le sang sur la base de l'autel du sacrifice ot il fera 
•une expiation sainte pour les souillures des fils d'Israël, pour 

Gasquet. — Mithra. 7 



74 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRÀ. 

les lustrations et les aspersions sanglantes étaient 
la ressource suprême de la catliartique pour l'ex- 
piation des crimes. Le sang lavait la faute. Les 
mystères de Samothrace avaient la spécialité de ces 
purifications pour le meurtre. 

Elles firent la vogue immense du taurobole dans 
les derniers siècles de l'empire romain. Le poète 
Prudence a décrit cette cérémonie dans toute sa 
sauvage horreur. Ce baptême sanglant se recevait 
dans une fosse à claire- voie, à peine recourverte de 
quelques lattes ou poutrelles. Le pénitent y prenait 
place, ou le prêtre, quand le sacrifice était donné 
pour la communauté des fidèles. De la plaie de 
l'animal égorgé, la pluie rouge tombait, souillant le 
malheureux, qui tendait vers la rosée sanglante son 
front, ses yeux, sa bouche, toute sa personne (1). On 
sortait de là renouvelé pour l'éternité, m seternum 
renatus\ quelques textes disent, pour Adngt ans 
seulement. A l'expiration de cette période, un second 
taurobole semblait nécessaire pour abolir les nou- 
velles tares contractées par l'àme pécheresse. Des 
villes, des provinces s'associaient pour faire les frais 
de ce sacrifice, qui supposait ainsi une sorte de so- 
lidarité dans le péché commun. On pouvait encore 
en rapporter le mérite et en appliquer le bénéfice à 

leurs injustices et pour tous leurs péchés. » — Voir Isaïe, 

Ch. XLIII. 

A rapprocher, à plusieurs siècles d'intervalle, les-vers de Lucain 
sur la mort de Caton, P/iars., II, v. 312 : 

Hic redimat sanguis populos, hac caede luatur 
Quidquid Romani meruerunt pendere mores. 

(1) Prudence : Peristeph, X, v. 1012 et sqq. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. 75 

des personnes désignées et absentes. Nous possé- 
dons des inscriptions, où le taurobole est offert à 
l'intention des empereurs régnants. 

On a prétendu, bien à tort selon nous, faire du 
taurobole et du criobole le privilège exclusif du 
culte de Cybèle. L'image même du sacrifice mi- 
thriaque proteste, avec la clarté de l'évidence, contre 
cette interprétation étroite. Cette image est ancienne, 
puisque déjà Stace décrit Mithra dans l'attitude con- 
sacrée par les monuments du iv° siècle (1); 
elle est antérieure à la première inscription tauro- 
bolique connue, qui est datée de l'an 133. Si l'on se 
refuse à y reconnaître Mithra, offrant lui-même le 
taurobole pour l'humanité, comment peut-on expli- 
quer la substitution du bélier au taureau, qu'on 
observe en d'autres monuments ? Taureau et bélier 
sont en effet les deux victimes de Mithra, comme 
celles du taurobole et du criobole. C'est pur jeu 
de l'esprit que de supposer une rencontre fortuite 
ou une contrefaçon intentionnelle en cette simili- 
tude. Les nombreuses inscriptions tauroboliques 
trouvées dans le sanctuaire de Cybèle au Vatican, 
attestent certes que cette dévotion était intimement 
liée aux cultes phrygiens. Mais elle appartient avec 
une égale certitude au culte de Mithra (2). Parmi les 

(1) stace : Thébaïde, v. 719. 

.... Perssei sùb rupibus antri. 

Indignata sequi torquentem cornua Mithram. 

(2) Le monument en verre coulé du musée Olivier! en serait 
une preuve sans réplique. Mais l'authenticité de ce monument a 
été fortement contestée. (Voir A. Lebègue, Revue archéoL, 1889), 
et nous ne voulons pas en faire état. Il nous reste pourtant des 



76 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

autres inscriptions, nous ne pouvons revendiquer en 
faveur de notre thèse celles qui portent à la fois le 
nom de Mithra et de la grande déesse. Elles sont 
nombreuses. Mais il en est d'autres où figure le nom 
de Mithra, sans celui des divinités de Phrygie (1). 
Dans les deux inscriptions qui sont à leur nom, le 
grand prêtre Agorius Prsetextatus et sa femme, énu" 
nièrent, dans les plus minutieux détails, tous les sacer- 
doces dont ils sont investis, tous les mystères auxquels 
ils furent initiés. Tous deux déclarent avoir reçu le 
bénéfice de l'oblation taurobolique. Cependant ni 
l'un ni l'autre ne se disent affiliés aux cultes de Phry- 
gie. Si l'on en croit saint Augustin et l'auteur inconnu' 
du De mysteriis^ le culte de Cybèle semble en défaveur 
au iv° siècle. Comment concilier cette décadence 
avec la vogue et la folie du taurobole qui coïncide 
avec la plus grande ferveur des mystères de Mithra? 
Dans les derniers siècles de l'empire, le syncré- 
tisme des religions païennes et des cultes orientaux 
autorisa de perpétuels emprunts des ims aux autres. 
En ce qui concerne Mithra, l'emprunt du taurobole 
put s'opérer dans cette Phrygie même, où le dieu 
persan avait vécu en si bonne intelligence avec les 
divinités locales. Mais on peut même aller plus 

doutes sérieux. Les expressions mystiques de la consécration ne 
sont pas pour étonner ceux qui sont au courant de la littérature 
dévote du iv<= siècle. Les poupées ailées qui s'envolent aux deux côtés 
de Mithra sont directement empruntées à l'art égyptien et repré- 
sentent lésâmes. Cet emprunt, lui aussi, n'a rien d'insolite. Le 
terme de Lari appliqué à Mithra, qui a scandalisé M. Lebègue, se 
retrouve ailleurs. Dans iElius Aristide [Orat. in Aselep.). Escu- 
lape est appelé « Lare commun du genre liumain. » 
(1) C. J, l.Vl, no^ 504, 697, 1778 et 1779. 



ESSAI SUR LE.CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 77 

loin. En réalité le sacrifice expiratoire de la bête, 
chargée de l'opprobre des hommes, remonte à l'an- 
tiquité la plus haute. Il n'est le privilège ni des 
dieux phrygiens, ni du dieu persan. Nous l'avons 
vu pratiqué chez les anciens Hébreux « pour les 
souillures des fils d'Israël, pour leurs injustices et 
pour tous leurs péchés ». Il en était très vraisem- 
blablement de même en Ghaldée, où le taureau et 
le bélier figuraient les deux animaux emblématiques 
du soleil nouveau. ' 

Ce caractère de rédemption s'attache, pour une 
autre raison encore, à l'immolation du taureau 
mithriaque. Nous savons que ce sacrifice rappelait 
celui du taureau primordial, victime du l'esprit du 
mal, et, par sa mort, bienfaiteur de l'humanité. Il se 
rapportait certainement aussi au sacrifice des derniers 
jours, accompli par le sauveur Çaoshyo, qui devait 
précéder le triomphe définitif du Bien et la résur- 
rection bienheureuse des hommes. « A la fin des 
siècles, dit le Bundehesch, Caoshvo immolera le 
taureau Çarçaok. Avec sa moelle et avec le hôm 
blanc, il préparera un second corps, et on en don- 
nera un à tous les hommes et chacun d'eux sera 
immortel à tout jamais (1). » Cette tradition, con- 
signée dans le livre parsi, remonte aux origines de 
l'Avesta et s'est conservée jusqu'à nos jours. Il 
paraît très probable que la scène des monuments 
mithriaques y fait une allusion directe, et que le 
taurobole lui-même, par lequel les pécheurs ra- 

(1) Bundehesch, chap. lxxv. Voir Darmesteter : Ormuzd et Ahri- 
ran, 2^ partie, ch. v, et Éludes iraniennes, t. II. 

7. 



78 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. 

«hetés peuvent renaître de leur vivant, n'est que la 
figure et la commémoration du sacrifice final, qui 
■doit procurer la renaissance universelle (1). 

Les contemporains ont-ils poussé plus loin l'inter- 
prétation du symbole? Au fort de la concurrence 
soutenue contre le Christianisme, ont-ils jamais 
institué un rapprochement entre le sacrifice du 
taureau et le sacrifice chrétien de l'agneau, si sou- 
vent figuré dans les peintures des catacombes? Des 
modernes l'ont pensé (2). Ils y semblaient autorisés 
par un texte de Firmicus Maternus, qui compare le 
sang de l'agneau au sang sacrilège versé dans le 
taurobole. Mais l'analogie n'est que de surface. 
Firmicus est possédé d'une hantise. Il voit partout 
dans les cultes païens l'intervention du démon qui 
s'acharne à multiplier les contrefaçons des mystères 
de la vraie foi. Il en est de puériles et de ridicules, 
auxquelles nui n'a jamais pensé que lui seul. Dans 
l'espèce, la comparaison est boiteuse. Le sacrifice 
de l'agneau est un sacrifice figuré, la victime est 
symbolique ; le sang du taurobole était une hor- 
rible réalité. D'ailleurs, pour que la comparaison 
fût de tout point exacte, il faudrait supposer, que 
les païens ont vu dans l'image du tauroctone, 
Mithra s'immolant lui-même et de sa main, sous 



(1) Il est très vraisemblable que Mithra a absorbé le personnage 
■de Çaoshyo, comme il a fait pour la plupart des génies de la 
mythologie perse. 

(2) Firmic. Mat. : De error. profan. relig., cap. xvii.Pro salute 
hominum agni istius veneraudus sanguis effunditur, ut sanctos 
■suos filius Dei profusione pretiosi sanguinisredimat...Miseri sunt 
qui profusione sacrilegi sanguinis cruentantur. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRÂ. 79 

les espèces de l'animal emblématique. Or il n'est 
trace nulle part d'une interprétation de ce genre ; 
pas un texte ne l'autorise. Ni les auteurs païens, 
ni TertuUien, ni Firmicus, n'ont soupçonné pareil 
rapprochement, ni établi un parallèle entre la 
qualité des deux victimes. Ce qu'immole Mithra, 
sous la figure du taureau, dans le sacrifice qui ouvre 
la période de la création et dans celui qui la ferme, 
c'est l'être matériel et de chair qui obnubile le 
principe spirituel de l'âme, ce sont les passions qui 
altèrent et corrompent son essence divine; l'objet 
du dernier sacrifice, c'est la libération définitive 
des servitudes corporelles (1). 



Les Pères de l'Église, mais surtout saint Justin 
et Tertullien, ont fréquemment signalé, dans les 
mystères de Mithra, des sacrements, dont le nom 
au moins serait commun avec ceux des chrétiens. 
Ces sacrements sont le baptême, la pénitence, 
l'oblation du pain et de la coupe. Tertullien ajoute 
qu'ils possèdent l'image de la résurrection. C'est 
trancher aisément une grave difficulté, que de ne 
voir dans ces ressemblances qu'imitation grossière 
•et qu'impudente contrefaçon. Les auteurs chrétiens 
contemporains eux-mêmes s'abstiennent de juge- 

(1) La preuve en est dans le commenfaire même, dont le Bun- 
dehescli accompagne le récit du sacrifice; pendant la dernière 
période qui précède la résurrection, l'homme cesse peu à peu de 
se nourrir de la chair des animaux, puis de [a pulpe des végétaux, 
puis du lait, et finit par acquérir un corps glorieux. 



80 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

ment S aussi sommaires ; ils ne suspectent, ni n'in- 
criminent les intentions de leurs adversaires ; ils 
disent seulement que les démons, c'est-à-dire les 
faux dieux, ont suggéré mécliamment aux hommes 
de telles analogies, pour troubler l'esprit des fidèles 
et jeter la confusion sur les vérités divines. Ils 
accusent la perversité de l'Esprit du mal et non la 
perfidie des hommes (1). 

Nous sommes malheureusement très mal rensei- 
gnés sur la nature de ces ressemblances ; et l'in- 
suffisance des textes laisse le champ libre aux hypo- 
thèses. Ne pouvant connaître la signification intime 
des sacrements mithriaques, c'est-à-dire ce que la 
religion a de plus secret et déplus particulier, nous 
sommes réduits à rechercher latra ce de pratiques 
analogues dans les rites persans et chaldéens, ou 
même dans les mystères qui se partageaient la dé- 
votion des derniers païens. Nous avons conscience 
de n'effleurer ainsi que la surface de la question. 
D'un culte à l'autre, en effet, ce ne sont pas tant 
les pratiques extérieures qui diffèrent, que le sens 
mystique attaché par la religion à ces pratiques. 
Les moules et les formes sont anciens ; seule la 
liqueur est nouvelle versée dans les outres vieilles. 

Les sacrements des mystères supposent toujours 
une intervention magique. Il est des mots, des 
rites, des formules qui ont la faculté d'agir directe- 
ment sur les dieux et de contraindre leur volonté. 



(1) Tertullien : De praescript.^ cap. xl ; De coi'onâ, cap. xv ; Jus- 
tin : Dialog. contra Trypli^, cap. lxvi. Voir aussi Firmicus Matei*- 
nus '.De erroreprof. relig. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTERES DE MITERA. 81 

Peu importe que l'homme qui en fait usage, n'en 
connaisse ni le sens, ni la raison. « Les symboles 
font d'eux-mêmes leur œuvre propre, et les dieux 
à qui ces symboles s'adressent, y reconnaissent 
d'eux-mêmes leurs propres images, sans avoir 
besoin de nous. » C'est pourquoi, il faut conser- 
ver les formes des prières antiques, n'en rien 
supprimer, n'y rien ajouter jamais; « car elles 
sont en connexité avec la nature des choses et 
conformes aux révélations divines » (1). Ceux qui 
ont le mieux noté ces mystérieuses correspon- 
dances sont les ChaldéenSj les Egyptiens et les 
Perses. 

On sait que toute l'antiquité a connu et pratiqué 
le baptême ou les lustra tions par l'eau. Les auteurs 
classiques, comme Yirgile et Ovide, les ont maintes 
fois décrites. Juvénal se moque de ces baptes, qui 
vont en foule se jeter dans le Tibre. L'Orient ne les 
a pas plus ignorées que l'Occident. Partout elles 
étaient le prélude de l'initiation. La première jour- 
née des mystères d'Eleusis leur était consacrée et 
un prêtre spécial y présidait. Apulée nous parle, 
dans sa description des mystères d'isis, du bain de 
l'initié (2). Comme celui d'Eleusis, c'était un bain 
rituel, destiné à procurer la pureté rituelle, à laver 
le myste des contacts impurs et profanes qu'il avait 
subis, à le régénérer et à lui assurer te pardon de 

(1) Orig., Cont. Çels., I, 24; De mysteriis, Pars II, 11 et Pars Vi, 
cap. IV et V. 

[•!) « Stipatum me religiosû, cohorte, deducit ad proximas bal- 
neas et prius sueto lavacro traditum, prœfatus deûm veniam 
purissino circumrorans abluit. » 



«2 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

ses fautes (1). Le baptême mithriaque ne paraît pas 
avoir dépassé cette conception. Dans l'Avesta, l'en- 
fant nouveau-né est lavé avec soin ; on approche de 
■sa bouche le hôma terrestre, qui est le symbole et 
lui donne l'avant-goût du breuvage d'immortalité. 
Il est ainsi purifié et fortifié pour les jours qui lui 
restent à vivre. Les mithriastes pratiquaient dans 
leurs cérémonies les purifications par l'eau, par le 
feu et même par le miel (2), Le miel est le symbole 
•de la mort et s'oppose au fiel qui est le symbole de 
la vie. Le miel est le produit des abeilles, qui dans 
le vocabulaire mystique désignent les âmes. On 
ajoutait à ces cérémonies l'onction sur le front et 
certains indices portent à penser que l'initié rece- 
vait un nom nouveau, sous lequel il était connu 
•dans les assemblées des mystcs. 

L'idée sur laquelle repose la Pénitence appartient 
au fond même de l'esprit humain. L'aveu volon- 
taire soulage de la faute et allège le remords; mais 
rien ne peut effacer la tache que le repentir parfait. 
Celui-ci suppose le sentiment intime de l'indignité 
■du pécheur en présence de la puissance et de la 
miséricorde divine. Le paganisme pratiquait 
exceptionnellement la confession. Plutarque la 
mentionne dans les mystères laconiens. A Samo- 
thrace, un prêtre, le Koës, recevait l'aveu des fautes 

(l)TertuL : De prœscripl. 40, : « Sacris quibusdam par lavacrum 
înitiantur... idque se in regenerationem et impunitatem perju- 
riorum suorum agere prœsumunt ». « Diabolus tingit et ipse 
quosdam et expiationem delictorum de lavacro repromittit. » 
Voir Porphyre : De abstinentia, lib. II, 49, 50. 

(2) Porphyre : De anb'o, cap. xviu. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITURA- 85 

avant de procéder à la purification (1). Mais c& 
sont les religions orientales qui ont le plus vive- 
ment senti l'infirmité de la condition humaine et la. 
distance infinie qui sépare le Créateur de la créa- 
ture. Dans une lamentation éloquente, qu'on croirait 
détachée des Psaumes, un Chaldéen exhale en 
ces termes son repentir : « Seigneur, mes péchés- 
sont nombreux, grands mes méfaits. Le Seigneur 
dans la colère de son cœur m'a frappé; le Dieu 
dans le ressentiment de son cœur m'a abandonné. 
Je m'effraie, et nul ne me tend la main. Je pleure, 
et personne ne vient à moi ; je crie haut et personne 
ne m'écoute. Je succombe au chagrin, je suis acca- 
blé et je ne puis plus lever la tête. Yers mon Dieu 
miséricordieux, je me tourne pour l'appeler et je 
gémis. Seigneur, ne rejette pas ton serviteur. S'il 
est précipité dans les eaux impétueuses, tends lui 
la main. Les péchés que j'ai faits, aies-en miséri- 
corde. Les méfaits que j'ai commis, emporte-les 
au vent, et mes fautes nombreuses, déchire-le& 
comme un vêtement (2). « Assurément ce ne sont 
là que les accents d'une âme contrite et repentie ; 
mais ailleurs, par exemple, chez les Persans, la 
confession revêt la forme d'une cérémonie reli- 
gieuse, qui l'ait partie de la liturgie. Elle s'adresse 
moins au Dieu suprême qu'aux puissances célestes 
et aux âmes des Purs, que le pénitent invoque comme 
intercesseurs. Nous lisons dans \ Hymne au Soleil : 
« Je me repens de tous mes péchés, j'y renonce : 

(1) Plutarque : Apophteg. Lacon. Hesychins : Koës. 

{%) Ra\vliiison : C. I. W. A. Tablette IV (traduct. Lenormant). 



U ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

Je reïionce à toute mauvaise pensée, à toute mau- 
vaise parole, à toute mauvaise action, à tout ce que 
j'ai pensé, ou dit, ou cherclié à faire de mal. Que 
je devienne comme cette lumière qui est haute et 
•élevée ! » Les Patêts des Parsis sont de véritables 
manuels de pénitence, contenant l'examen minu- 
tieux et méthodique de la conscience, les actes de 
foi et les prières rituelles. Mais nulle part il n'est 
parlé de l'absolution, descendant sur le pécheur, en 
même temps que la grâce opère dans son cœur. En 
l'absence de documents précis, il n'est pas téméraire 
-de penser que la confession mithriaque s'inspirait 
du même esprit de contrition et avait gardé quel- 
ques-unes de ces pratiques. 

Nous ne sommes pas mieux renseignés sur la 
•communion mithriaque. Nous savons par saint 
Justin qu'elle consistait dans l'oblation du pain et 
de l'eau, sur lesquels le père prononçait quelques 
paroles (1). C'est pourquoi, dans les monuments de 
Mithra, figuré toujours une coupe auprès de l'ani- 
mal sacrifié. A notre avis, ce n'était là, comme s'ex- 
prime Tertullien, que « l'image » de la communion 
chrétienne. On sait en quels termes, d'une précision 
et d'une énergie toutes réalistes, saint Paul et l'au- 
teur du quatrième évangile ont défini l'Eucharistie. 
Elle est le sacrement chrétien par excellence, et 
comme le dogme central du christianisme. On lui 
connaît dans les mystères de très lointaines analo- 
gies, mais point d'équivalence. Les repas religieux 

(1) Justin : Apolog., I, cap. lxvi : "0-t yàp ap-oç -/.al TîOT-^ptov 
-joaTOç TtOe-at âv tocIç to-j (jluojxévou TeXe-raï?, (j.£- ÈutXôywv Tivôiv. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. 80 

des Esséniens, les agapes sacrées d'Eleusis, le breu- 
vage du Cycéon, auxquels on a voulu tour à tour 
la comparer, ont un sens religieux tout différent (1). 
Ce sens nous parait très clairement indiqué par un 
passage de Plutarque : « Ce n'est pas, dit-il, la 
quantité des vins, ni l'abondance des viandes, qui 
est l'essentiel dans ces fêtes et en constitue le bien- 
fait; c'est la bonne espérance et la persuasion de la 
présence d'un dieu favorable, qui répand sur nous 
ses grâces (2). » De même, dans les repas funéraires 
les morts étaient censés prendre leur part du festin 
•et entrer ainsi en communion mystique avec les 
vivants. Ce repas en commun établit un lien entre 
ceux qui le donnent et la divinité en l'honneur de 
qui il est offert ; c'est par là qu'il est un acte essen- 
tiellement religieux. Seules les liomopliagies des 
Dionysiaques ont un rapport lointain et grossier 
a,vec le mystère chrétien de la transsubstantiation (3). 
Quant à la communion mithriaque, elle ne rappelle 
en rien ce type, et devait participer à la fois du repas 
sacré et du sacrifice qui nous est décrit dans VAvesta. 
Ce sacrifice consistait, comme encore aujourd'hui 
chez les Parsis, dans l'oblation des pains de pro- 
position [daroûns) et d'un breuvage qui est l'eau de 
source ou le suc du hôma. Le Yacna nous déroule 



(t) Le rapprochement est de Firmicus Madernus : De err. prof, 
relig., cap. xix. 

(2) Plutarque : Non passe suav. vivere sec. Epiciir. 

(3) Voir surtout le passage d'Arnobe, lib. Y : « L't vos plenos dei 
numine ac majestate doceatis, caprorum reclamantium viscera 
■cruentatis oris dissipatis. » Voir aussi Prudentius : Conti'ci Sym- 
mach, lib, I, v. 129 et sq. ; Porphyre : De absiin. IV, 19. 

Gasquet. — Mithra. g 



86 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. 

les longues péripéties de l'office mazdéen. La partie 
principale réside dans la préparation et la consé- 
cration du liôma. « 1] guérit tous les maux; il donne 
santé et longue vie ; il procure aux femmes la fécon- 
dité. Il est le trésor le plus précieux pour l'âme. Il 
rend le cœur du pauvre aussi élevé que celui du 
riche : toi qui es de couleur d'or, je te demande 
la sagesse, la force, la victoire, la santé, la prospé- 
rité. » L'office se termine par le repas en commun, 
composé du pain, de la viande et de l'eau apportés 
par les fidèles; mais pour y prendre part, ils doi- 
vent être en état de pureté parfaite. On a tout lieu 
de penser que ces rites, qui se sont conservés 
jusqu'à nos jours au fond de l'Asie, sont ceux-là 
mêmes, du moins en partie, qui étaient pratiqués 
dans les mystères de Mithra (1). 

La résurrection est un dogme essentiellement 
iranien ; il en est fait mention dans les Gathas^ 
comme dans les livres très postérieurs. Les Grecs 
en savaient l'origine, et trois siècles avant notre 
ère. Théopompe expliquait le calcul des périodes 
cosmiques, qui devaient, d'après VAvesta, précéder 
cette rénovation. Des Perses, ce dogme passa aux 
Juifs, qui ne semblent l'avoir adopté qu'avec répu- 
gnance. Les Esséniens et les Pharisiens l'avaient 
accepté, mais les Sadducéens, c'est-à-dire l'aris- 
tocratie conservatrice des Hébreux, le rejetaient. 



(1) Voir le Yaçna (trad. Darmesteter, chap. i à x). Le repas 
mithriatique est très souvent représenté sur les monuments. Voir 
par exemple le monument de Bessapara (Thrace) décrit par Dû- 
ment. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 87 

Elle s'accorde mal, en effet, avec la croyance au sheol, 
qui garde à jamais ses morts. Pour les Mazdéens, le 
monde a commencé au moment de l'exaltation du 
Soleil dans le signe du Taureau ; il doit finir quand 
le Soleil reviendra dans ce signe. Cette révolution 
comprend douze mille années. Elle se subdivise en 
quatre périodes ou saisons de trois mille ans. La 
dernière sera marquée par le triomphe d'Ormuzd 
et l'écrasement du démon, au milieu de la confla- 
gration générale. Aux derniers jours, quand la terre 
sera « comme malade et semblable à la brebis qui 
tombe en frayeur devant le loup », la résurrection 
des corps s'opérera. Par la volonté d'Ormuzd, les 
éléments rendront co qu'ils avaient repris aux corps 
après la dissolution de l'être. De la terre revien- 
dront les os, de Feau reviendra le sang, des arbres 
les poils et les cheveux, et la vie reviendra du feu, 
comme à la création des êtres. Mais il semble que 
cette résurrection de la chair doive être provisoire 
et limitée au temps réservé à l'expiation des mé- 
chants et à leur réconciliation définitive. Car il est 
dit que les hommes finiront par ne plus prendre de 
nourriture et que « leurs corps ne feront plus 
d'ombre ». Ils deviendront lumineux et semblables 
au soleil (J). 

La doctrine des chrétiens fut assez hésitante sur 
ces divers points. A vrai dire, la question n'existait 
pas pour la première génération du christianisme, 
qui croyait à l'imminence de la pa7'ousia. Saint Paul, 

(1) Bundehescfi, chap. xxxi. — Yaçna, § 23, 30, 42, 43. 



88 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

qui a fait de la résurrection un des dogmes fonda- 
mentaux de sa foi, et qui croit qu'il verra de son 
vivant l'apparition du Christ sur les nuées, proclame 
qu'à ce moment les morts seront réveillés et que 
« les vivants seront changés ». Les uns et les autres, 
renaîtront incorruptibles. « Ni la chair, ni le sang 
ne peuvent être appelés au royaume de Dieu, ni 
le corruptible à l'incorruptible. » Ils revêtiront un 
corps « psychique et spirituel » dont le type est 
fourni à l'apôtre par le corps du Christ transfi- 
guré (1), D'autres, essayant de préciser les données- 
flottantes sur la vie future, préfèrent à une immor- 
talité spirituelle dont la conception échappe à leur 
esprit, une palingénésie, une création nouvelle, et 
dans une Jérusalem splendide et matérielle, le règne 
du royaume de Dieu, enfermé dans une durée 
limitée. A mesure que les temps s'écoulèrent, sans 
amener le cataclysme final et promis, les difficultés 
se pressèrent. L'imagination des millénaires put se 
donner ample carrière dans la supputation de la 
redoutable échéance. Sagement, on finit par aban- 
donner ces spéculations vaines aux sectes hérétiques. 
Toutefois sur un point essentiel une solution sïm- 
posait. Entre la mort et le terme fatal fixé au 
monde, que devenaient les âmes? Attendaient- elles 
le jour promis dans le morne repos et la froide 
insensibilité de la tomb.e? ou, sitôt délivrées de la 
chair, étaient-elles admises à goûter l'active immor- 
talité du bonheur ou de la souffrance? Il semble 

(1) Saint Paul, Ep. ad Coi'inth., l, 15. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 89 

bien que sur ce point les chrétiens, comme aussi les 
mithriastes, finirent par adopter l'opinion commune 
de leur temps, celle que la doctrine des mystères 
et la philosophie platonicienne avaient propagée. 
Car saint Justin écrit : « La Sibylle et Hystaspe 
(le législateur des Perses, souvent confondu avec 
Zoroastre) ont annoncé la consomption par le feu 
des choses corruptibles et nous suivons leur opinion. 
Quand nous enseignons que les âmes des méchants 
doivent, après la mort, conserver le sentiment et 
être punies, celles des bons, libres de toutes peines, 
jouir de la béatitude, nous disons la même chose 
que vos poètes et que vos philosophes (1). » 

IV 

LES ÉPREUVES ET LES GRADES. 

Dans tous les mystères, les divers degrés de 
l'initiation étaient précédés d'épreuves, qui avaient 
pour objet de s'assurer de la foi du candidat et de 
la solidité de sa vocation. On lui imposait une 
attente de quelques mois, ou de quelques jours, 
qui était occupée par la prière, le jeûne et des 
abstinences variées. Nous savons par Apulée 
comment on se préparait, sous la direction d'un 
prêtre, à l'initiation des mystères d'Isis. Les épreu- 
ves des mystères de Mithra passaient pour les 
plus longues et les plus rudes. La secte ne voulait 

(1) Justin : Apolog.,1, chap. xviii. 



■90 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITURA. 

admettre que des hommes trempés par la souf- 
france, dont aucime surprise des sens ne pouvait 
déconcerter la volonté, parvenus à cet état d'in- 
sensibilité qu'on appelait Vapathie. On disait que 
•ces épreuves allaient parfois jusqu'au sacrifice de 
la vie ; soit que l'initié succombât à la violence de 
ia douleur ou à sa durée, soit qu'il dût pousser 
l'esprit d'obéissance jusqu'à donner la mort, sur 
l'ordre de ses chefs. Il est possible qu'à une époque 
déjà lointaine le mépris de la vie et le fanatisme 
religieux aient conduit à ces extrémités ; de pareils 
■exemples ne sont pas rares chez les sectaires 
•orientaux. Mais, sous l'empire, Lampride nous 
-assure que ces homicides étaient simulés et que 
l'empereur Commode se souilla d'un crime inusité, 
en faisant suivre d'effet le geste commandé, et en 
'Commettant un meurtre au cours de l'initiation. 
Plus tard, cette discipline dut encore fléchir, au 
moment de la grande faveur des mystères. Toute- 
fois les mithriastes ne craignaient pas, par des 
rigueurs peu communes, de contenir l'empresse- 
ment des fidèles : ils savaient qu'il est dans la 
nature de l'homme de n'attacher de prix qu'à une 
récompense qui lui a coûté peine et douleur. 

Les épreuves étaient au nombre de douze et 
duraient probablement quatre-vingts jours (1). Ce 
chiffre se rapportait aux signes du Zodiaque et aux 



(1) C'est ce qui ressort des textes de Nonnus, commentateur de 
•Grégoire de Naziance, i'Élias de Crète, de Nicétas de Serres, du 
Violarium de l'Impératrice Eudoxie. Voir Grég. de Naziance : 
■Orat. 3 in Julian. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 91 

travaux de l'Hercule assyrien. Il rappelait ses douze 
victoires sur les monstres, gardiens des hôtelleries 
célestes, qui lui avaient mérité la tunique astrale 
et valu avec d'adoption des Dieux l'immortalité (1). 
Dans tous les mystères. Hercule était le modèle 
proposé aux initiés, il était le myste parfait. 

De ces épreuves graduées, d'abord légères, puis 
de plus en plus pénibles — Grégoire de Naziance 
ies appelle des supplices — on ne connaît pas le 
détail exact. Elles comportaient des jeûnes prolon- 
gés, quelquefois de cinquante jours, dit Nicétas de 
Serres, l'abandon dans la solitude, l'épreuve des 
éléments, du feu, de l'eau, du fouet; le patient était 
enfoui dans la neige, traîné par les cbeveux dans 
des cloaques. Les injures et les dérisions s'ajoutaient 
à ces souffrances physiques. 

Quelques-uns des monuments mi thriaques, parmi 
les nombreuses figures dont ils sont surchargés, 
permettent de distinguer certainement les épreuves 
imposées à l'initié. La plupart sont malheureuse- 
ment mutilés, ou le temps en a effacé le relief. Le 
monument d'Heddernheim nous montre, en trois 
médaillons séparés par des pins, le myste vain- 
queur du taureau, le myste ceint de la couronne 
héliaque, c'est-à-dire, d'une auréole radiée, le 
myste introduit par la main de Mithra dans le ciel 
des bienheureux. C'est là comme la synthèse des 
■épreuves avec la récompense qui les couronne. Un 
des plus complets de ces monuments, celui de 

(1) Dion Ghrysost. : Orat. 33. Porphyre cité par Eusèbe : Pi^se- 
par. Ev., lib. II!, c. xi. Servius : In ^weirf, lib. VI, v. 294. 



92 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITflRA. 

Mauls en Tyrol, offre, des deux côtés de l'image du 
tauroctone, douze compartiments superposés, où 
sont représentées distinctement l'épreuve du feu, 
celle de l'eau (un homme luttant à la nage contre 
le courant d'une rivière), celle du jeûne ou de la 
solitude (un homme couché nu dans un désert 
semé de rochers), celle du fouet, à moins que 
l'instrument brandi par le tortionnaire ne soit le 
poignard, destiné à donner au myste l'illusion d'une 
menace de mort. Les compartiments de droite 
semblent consacrés à l'anabase^ ou plutôt marquent 
les étapes vers l'apothéose. Ils nous font voir le 
myste reçu en grâce et pardonné, puis couronné 
par la main de Mithra du diadème héliaque, monté 
enfîii sur le char que dirige le Soleil et accueilli 
dans le ciel par des personnages, qui sont ou les 
dieux ou les bienheureux. La lecture de ce curieux 
monument doit se faire, croyons-nous, d'abord à 
gauche, puis à droite, en commençant dans les 
deux cas par la base. Au bas de la preniière série 
est figuré le taureau, seul et debout sur ses quatre 
pieds ; dans le compartiment qui lui répond à 
droite, et qui précède la scène de l'ascension vers 
la lumière, le taureau est vaincu, traîné par les 
pattes de derrière. Le même motif, avec des va- 
riantes, est seproduit en plusieurs monuments. 
Dans ceux de Sarmizsegetuza et d'Apulum, le tau- 
reau debout est monté; l'homme fait corps avec la 
bête. Dans celui de Neuenheim la légende est 
développée. Entre le taureau debout et le taureau 
traîné par les pieds, s'intercalent deux médaillons 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTERES DE MITHRA. 93 

représentaiit, Fun, l'homine portant la bête dans 
l'attitude de l'Hermès criophore, l'autre l'homme 
entraîné par la bête au galop. S'il n'est pas trop 
hasardeux de chercher l'explication de ces symboles, 
je dirais- que le taureau debout me semble repré- 
senter le principe matériel et charnel, dont l'initié 
doit se libérer pour mériter la récompense, le 
taureau vaincu signifier la victoire du myste. Les 
figures intermédiaires marqueraient les péripéties 
de la lutte. Dans nombre de cylindres chaldéens la 
défaite du monstre mythique s'exprime par des 
attitudes presque semblables. (4) Du monument de 
ZoUfeld, il ne reste que la scène de l'apothéose. 
Nous la citons, parceque l'enlèvement du myste 
sur le char du Soleil, précédé d'un Hermès psy- 
chopompe, reproduit exactement le dessin d'un 
vase grec représentant l'entrée d'Hercule dans 
rOlymphe. (2) 

Les épreuves surmontées permettaient l'accès aux 
grades. La religion mithriaque instituait ainsi parmi 
les initiés une hiérarchie rigoureuse, selon le 
degré d'instruction ou l'intelligence de chacun, son 
dévouement à la communauté et les services 
rendus. Cette organisation avait l'avantage d'incul- 
quer aux fidèles le principe d'obéissance, de les dis- 
cipliner et de susciter entre eux une émulation 
salutaire. Le mithriacisme avait par là, avec ses 
mots de passe et se's signes mystérieux, comme on 

(1) Dans le mémoire de R. Rochette, Insc. et B. L., Tom. XVII. 
Voir pi. II, no 9; pi. V, no 7, 18.pl. VI de 1 à 13. 

(2) Gerhard. Antik. Bildwerke Cent. I. 



^4 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRÀ. 

l'a souvent fait remarquer, quelque analogie avec la 
iranc-maçonnérie . 

On n'est d'accord ni sur le nombre des grades, 
ni sur leur ordre, ni même sur leurs noms. Le 
passage de saint Jérôme dans la lettre à Laeta, oii 
ils sont énumérés, est un des plus contestés des 
manuscrits et d'une lecture très incertaine. Lajard, 
tourmenté par l'idée fixe de retrouver partout le 
nombre douze, s'est évertué à créer des noms nou- 
veaux, dont son imagination a fait tous les frais. 
Une saine critique commande de n'admettre que 
«eux que mentionnent expressément les textes 
anciens et les inscriptions. Or ils sont au nombre de 
sept, répondant ainsi à celui des planètes et aux 
■degrés de l'échelle mystérieuse de Gelse. Ce sont, 
les Miles, le Léo, le Corax, le Gryphius, le Perses, 
î'Hélios, le Pater. La réception à chacun de ces 
grades était l'occasion d'autant de fêtes, dont les 
inscriptions gardaient le souvenir; les léontiques, 
les coraciques, les gryphiques, les persiques, les 
héliaques, les patriques. 

Que signifient ces noms bizarres, empruntés pour 
la plupart à des êtres et à des animaux, soit réels, 
soit fantastiques, et à quelles conceptions répondent 
ils ? Le problème est des plus malaisés ; il a embar- 
rassé les anciens eux-mêmes plus voisins que nous 
•de tels usages ; et ils n'ont pu lui donner une solu- 
tion précise et satisfaisante. Plusieurs hypothèses 
-se présentent à l'esprit. Ces animaux représentaient 
ils les instincts primitifs de l'humanité, l'animalité 
primordiale dont le myste devait peu à peu se 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 9î^ 

dépouiller pour libérer son âme? Plutarque au 
contraire voit dans les animaux des miroirs fidèles 
que nous offre la nature et démôle en eux des 
traits d'obscure similitude avec la puissance divine, 
comme le soleil se reproduit dans la goutte d'eau. 
Il explique ainsi l'adoration des animaux par les 
Egyptiens ; elle ne serait que la survivance d'un 
culte totémique, antérieur à l'organisation sacerdo- 
tale, et que l'on a observé au berceau de plusieurs 
peuples sauvages. Les quatre monstres qui appa- 
raissent au prophète Ézéchiel, ceux en même 
nombre qui, dans l'Apocalypse, gardent le trône de 
Dieu, semblent rentrer dans la même formule ; ils 
expriment des manifestations de la puissance 
divine, ses propres attributs, sagesse, puissance, 
omniscience , pouvoir créateur. La signification 
des animaux mithriaques nous paraît toute diffé- 
rente. Porphyre émet, avec quelque restriction, 
l'idée qu'ils pourraient bien se rapporter à une 
doctrine de la transmigration des âmes, et que les^ 
mithriastes admettaient une sorte de parenté et de 
communauté entre l'homme et les animaux. 

L'incertitude et les hésitations de Porphyre 
montrent à quel point restaient encore indécises les 
notions des contemporains sur la doctrine secrète 
des mystères. En réalité, la métempsycose est 
absolument étrangère au milhriacisme, comme elle 
l'est aussi aux religions d'Egypte ; l'erreur n'a pu 
venir que d'une confusion favorisée par les idées 
pythagoriciennes et les vagues connaissances qu'on 
pouvait avoir à Alexandrie du système religieux de 



^6 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. 

l'Inde. Mais le même Porphyre nous met sur la 
voie de la solution véritable, en nous rapportant un 
passage de Pallas, dont il n'a pu clairement pénétrer 
le sens. « L'opinion commune, dit cet historien, 
■est que ces noms d'animaux et de monstres ont 
trait au zodiaque ; mais en réalité les mithriastes 
veulent faire entendre ainsi certains secrets sur 
l'âme, qu'ils représentent comme revêtue de diverses 
enveloppes corporelles » (i). Que l'on veuille bien se 
reporter à l'explication que nous avons donnée do 
l'anabase et de la catabase, à ces voyages de l'âme 
à travers les planètes, à ces enveloppes de plus en 
plus matérielles qu'elle reçoit à chacune de ces 
stations et qu'elle dépouille ensuite pour recouvrer 
sa piireté et sa spiritualité; on reconnaîtra que les 
travestissements successifs imposés à l'initié ré- 
pondent à ces voyages planétaires, aux personna- 
lités différentes qu'il revêt à chacune de ces stations, 
à l'allégement progressif qu'il en doit ressentir dans 
sa matérialité, à l'être nouveau qu'il devient à 
•chaque étape vers la, perfection et la vie bienheu- 
reuse. 

Ilresteraità savoir quelles secrètes affinités les mi- 
thriastes supposaient entre les êtres symboliques qui 
figuraient les gradesde l'initiation et les vertu s des pla- 
nètes. Mais ces rapports restent inconnus. Une telle 
explication a du moins pour elle de rentrer exacte- 
ment dans l'esprit de l'enseignement dogmatique des 
mystères, elle est logique et en conformité avec la 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 97 

doctrine. Peut-être pourrait-on la compléter, en 
admettant que, sous chacun de ses aspects nou- 
veaux, le myste reflétait quelqu'une des vertus ou 
des actions particulières de Mitlira, considéré, tour 
à tour, comme le guerrier courageux en lutte 
contre le mal, le principe du feu, le messager de la 
saison de vie, le sauveur des hommes, etc. Les 
deux explications sont plausibles, et n'ont rien 
d'exclusif ni de contradictoire. 

Ajoutons encore que les mithriastes n'étaient pas 
seuls à user envers les initiés de ces désignations 
bizarres. Les inscriptions révèlent des bœufs, des 
bouviers et des archibouviers dans les mystères de 
Sabazios et de Liber, des chevreaux dans les Orphi- 
ques, des ours et les boucs dans le culte de l'Arté- 
mis d'Ephèse. 

Nous devons à Tertullien quelques renseigne- 
ments sur la réception du Miles (1). Le myste, 
vainqueur des épreuves, doit refuser la couronne 
qui lui est présentée sur une épée : il la fait glisser 
sur son épaute et répond : « Mithra est ma seule 
couronne. » Comme le soldat enrôlé dans l'armée 
romaine, il est alors marqué d'un signe au front et 
fait partie de la milice sacrée (2). Le lion n'est plus 
un simple initié, il est déjà attaché au service du 
dieu; la plupart s'en tenaient à ce grade. Les 
femmes elles-mêmes pouvaient y prétendre et rece- 

(1) Tertullien : De covonà, cap. XV. 

(2) Les initiés d'autres cultes, de "celui de Cybèle par exemple, 
recevaient de même un sigae particulier. Sur la marque des sol- 
dats, voir Acla Maximiliani et aussi Végèce, 11, 5. 

Gasquet. — Mithra. 9 



98 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITORA- 

vaient le nom de lionnes (1). La réception donnait 
lieu à d'étranges et obscures cérémonies, dont le 
sens nous échappe en partie. Le myste revêtait 
successivement les formes de divers animaux, dont 
il devait imiter les cris et les mouvements (2). On 
l'enveloppait du manteau mystique, bariolé des 
figures des constellations, semblable au voile olym- 
pique des éleusinies et des isiaques, à Vastrochitôn 
d'Hercule et à la nébride des dionysiaques. On lui 
purifiait avec le miel les mains, la bouche et la 
langue, ha corheaii était déjà un ministre inférieur 
du culte (3); son nom venait de la constellation, 
dont le lever héliaque annonce le solstice d'été ; 
pour la même' raison, chez les Grecs, le corbeau est 
consacré à Apollon (4) ; son image figure sur presque 
tous les monuments au-dessus ou à côté du tauroc- 
tone. 

L'étrange figure du Griffon^ qui participe à la 
fois du lion et de l'aigle, dénonce par cette parenté 
seule des rapports certains avec les religions so- 
laires. Il apparaît sur les monuments assyriens et 
chaldéens de toute époque. Le motif du griffon 
vainqueur du taureau, du bélier, du cerf, illustre 
nombre de médailles et de vases orientaux et grecs ; 
il se substitue à celui du lion, comme lui symbole 
du principe igné qui triomphe du principe humide, 

(1) Porphyre : Be abstin., lY, IG. 

(2) Idem, ibid. : « Alii sicut aves alas percutiunt, voceni cora- 
ris imitantes, alii vero leonum more fremunt. » {Quœstiones ve- 
leres, attrib. à saint Augustin. Migne, t. XXXIV, p. 2214.) 

(3) Porphyre : De abst., IV. 16, •JTrspE-uo'jVTs;. 
(4J ^iien, De aiiim.., cap. XYIII. 



ESSAI SUR LB CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 99 

figuré par les animaux herbivores. Les Grecs l'adop- 
tèrent et lui firent place dans leur mythologie. Sur 
des vases Bacchus est représenté traîné par un 
griffon. Il sert de monture à Apollon quand le 
Dieu revient du pays des hyperboréens. Il est le 
gardien de l'or et des trésors cachés et son nom est 
associé à d'innombrables légendes orientales. 

Bien plus intéressante est la figure du Perses; 
plus mystérieuse son origine. L'antiquité l'a iden- 
tifié au Persée grec ; il parait avoir été dans les âges 
primitifs de la Grèce le premier exemplaire, le 
prototype du dieu solaire, vainqueur du dragon et 
du serpent. Son nom est mêlé aux plus lointaines 
légendes qui établissent les rapports mythiques 
des populations asiatiques avec les races qui bâti- 
rent Argos et Mycènes. Xercès, peut-être pour 
flatter la vanité des Grecs et se gagner parmi eux 
des sympathies, publiait la parenté de sa race avec 
le héros qui délivra Andromède. Hérodote, de qui 
nous tenons ce détail, donne ailleurs à Persée le 
nom d' « assyrien » (1). Et telle paraît bien être 
son origine. Phérécyde rattache son mythe à 
la Phénicie, et l'on montrait en effet près de Joppé 
le rocher oii fut enchaînée la victime du dragon. 
Cette légende, remonterait plus loin encore, s'il faut 
voir, comme le croit Oppert, en Persée, le héros 
assyrien d'une aventure semblable à la délivrance 
d'Andromède (2). Dion Chrysostôme, Ammien 

(1) Hérodote, VI, 54 éwv Ao-oùptoc. 

(2) Voir Rev. archéoL, 1892; Lenormant, L'épopée babylonienne ; 
^lien : Histoire des animaux, 'Mi, 21. 



100 ESSAI SUR "LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA- 

Marcellin font dePersée le fondateur de Tarse, cette 
ville, une des plus vieilles de l'Asie, dont l'origine 
assyrienne est incontestable et qui avait pour Dieu 
national ce Sandan, dont nous avons relevé l'étroite 
parenté avec Mithra (1). 

Non moins curieux sont les éléments de la lé- 
gende empruntés aux traditions persiques. Saint 
Justin qui semble attacher une importance toute 
particulière à Persée, nous met sur la voie de ces 
recherches. Il y revient à deux reprises dans son 
Apologie et dans le Dialogue contre Tryphon. Il 
voit en lui le Sauveur, né d'une vierge, que le démon 
oppose au Christ (2). Ce Sauveur ne serait-il pas ce 
Çaoshyo fils de la vierge Eredat-Fedhri, né de la 
semence de Zovoastre, et qui doit accomplir le der- 
nier sacrifice et sauver aux derniers jours l'huma- 
nité? Comme les autres génies de la Perse, il finit 
par se confondre avec Mithra et par perdre en lui 
sa personnalité. UAvesta fait une claire allusion à 
sa destinée, le Bundehesch développe son rôle ; les 
légendes arméniennes et parses conservent à 
travers tout le moyen âge le souvenir de sa mira- 
culeuse origine (3). 

Le grade d'Hélius ou à'Héliodromus porte avec lui 

(1) Dion Chrysost. : Oral., 23. Sur Tarse ; Amaiien Marc. 
Hist. XIV. 

(2) S. Justin : Dial. cont. Triph., cap. LXX. « Quando autem ex 
Virgine audio Perseum, id quoque fraudulentum serpentem imi- 
tatum intelligo ». ApoL, I. ch. LIV. <i Qimm autem illud audissent 
ex Virgine nasciturum et per se ipsum in cœlum ascensurum, 
perl'ecerunt ut Perseus diceretur. » 

(3) Avesta. Yescht des Ferouërs, carda, 30 ; Bundelies/i,cdcp. xxxii; 
Voir J. Darmesteter : Eludes iraniennes. Tom. II, p. 208. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE- MITHRA. 101 

son explication solaire. Dans les monuments mi- 
thriaques, on voile l'Héliiis, la tête ceinte de rayons 
debout à côté de Mithra sur le char qui le conduit 
au ciel (1). 

Quant aux Patres^ ils constituaient le clergé pro- 
prement dit ; on leur donnait le nom d'éperviei^s et 
(V aigles. Porphyre distingue parmi eux trois degrés 
de prêtrise, que les inscriptions mentionnent éga- 
lement : les pères, les pères du culte {patres sacro- 
rwn) et les pères des pères [patres patruin) (2). Le 
père des pères était le chef suprême de la religion. 
11 est intéressant de noter que les mêmes degrés 
se retrouvent encore de nos jours chez les parsis 
de l'Inde, au témoignage d'Anquetil : le hobed^ qui 
a la connaissance des livres sacrés et des coutumes, 
le mobed, qui est l'ancien mage, et le ministre du 
culte; le mobeddesîoiir^ le chef religieux, chargé 
d'interpréter les difficultés de la loi, et dont la dé- 
cision est souveraine 



V 

SUCCÈS ET DÉCADENCE DU MITHRTACISME . 

Le milhriacisme a dû le succès éclatant de sa 
propagande à bien des causes différentes. Voici, 
croyons nous, les deux principales : 

(1) II semble qu'on doive lire Hélîodromits dans le manuscrit de 
saint Jérôme. {Lettre à Lœta). Le même terme se lit sur une ins- 
cription de Phrygie publiée par Ramsey, en 1883. 

(2) Porphyre : JJe ahstin , IV, 16; confirmé par saint Jérôme, 
Ep. 52, conlra Jovinianum. 

9. 



■^ 



*02 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MYTHRA. 

En lui le paganisme a trouvé la forme du mono- 
théisme, auquel, à la dernière période de son évo- 
lution, il devait aboutir, sous la double influence 
de la philosophie et de l'enseignement des mystères. 
Presque tous les dieux des religions anciennes 
sont des dieux de l'atmosphère, des dieux de lu- 
mière. Zeus est le frère, très reconnaissable, de 
l'Ahura persan, du Varuna et de l'Iridra védiques. 
Sur ces données premières, très vagues et relati- 
vement simples, le génie plastique et anthropo- 
morphique des Grecs a brodé les brillantes fan- 
taisies de sa mythologie. Il a distingué et précisé, 
mis de l'ordre et de la clarté dans le monde divin. 
Par une série de dédoublements il a multiplié ses 
dieux et traduit en drame et en action la physique 
céleste. Or voici qu'à la fin des temps, grâce à des 
simplifications facilitées par l'identité de nature, 
ces dieux tendent à revenir à l'unité première. Ces 
fils de la lumière s'absorbent dans le grand lumi- 
naire, foyer de toute clarté. Mais ce syncrétisme ne 
date pas seulement du m^ et du lV siècle de notre 
ère. Il a été de tout temps dans l'esprit de la Grèce 
et de Rome, en même temps que la tendance con- 
traire à l'individualisme et à la variation. Grecs 
et Romains donnaient les noms de leurs dieux à 
toutes les divinités des barbares. C'est par un pa- 
reil travail de simplification que l'hellénisme s'était 
imposé à Rome et qu'une première fois s'était opérée 
la fusion des deux mythologies. Rome à son tour 
avait transformé en ses propres divinités les dieux 
des peuples qu'elle avait conquis. Même la Tanit 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 103 

de Carthage, elle l'avait revêtue du nom et des attri- 
buts de la Junon céleste. 

Il lui fut plus malaisé d'absorber les dieux orien- 
taux qui ont une personnalité plus tranchée, et qui 
pénètrent à Rome avec leurs adorateurs et leur sacer- 
doce. La supérioriété de l'Orient,, en matière reli- 
gieuse, s'aflirma pour la première fois. Rome ne 
put rien gagner sur ces intrus, et ce fut elle qui 
céda. Il se fit entre les divinités correspondantes un 
échange continuel de dévotions et d'attributs. La 
pénétration fut réciproque, bien qu'elle s'opérât 
plutôt au profit de l'Orient, et les dissemblances en 
vinrent à s'atténuer, au point que le Jupiter du 
Latium ne différa plus sensiblement de Sérapis ou 
de Mithra. Ceux-ci à leur tour s'enrichirent du 
trésor accumulé de la pensée grecque ; la concep- 
tion de la divinité s'élargit et s'épura, et ces dieux 
égyptiens, syriens et persans se rapprochèrent du 
dieu de Platon et de Philon. 

Déjà nous avons vu qu'Élagabal avait essayé de 
subordonner tous les dieux de l'empire à son dieu 
d'Emèse, le Baal de Syrie. Les folies exotiques de 
ce maniaque discréditèrent sa tentative, d'ailleurs 
prématurée. Plus heureux, Aurélien, sous prétexte 
d'unifier Jes dieux solaires, consacra l'empire au 
Sol invictus. Mais pour le plus grand nombre bien- 
tôt, le Soleil, ce fut Mithra, qui, par la vogue crois- 
sante de ses mystères, dériva à son profit le courant 
créé par la nouvelle religion officielle. Dès lors 
c'est à lui que, par des détours subtils, tous les 
dieux sont peu à peu ramenés. L'empereur Julien, 



104 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

dans son traité le Roi Soleil, montre déjà com- 
ment toutes les divinités de l'Orient et de l'Occident 
peuvent rentrer les unes dans les autres et se ré- 
duire au seul Mithra ; qu'une seule intelligence, 
une seule providence agit sur le monde sous des 
noms différents et qu'elle seule communique son 
action aux anges, aux génies, aux héros et aux 
âmes, qui veillent sur tous les mouvements du 
monde, de la nature et de l'âme (1). Mais le théo- 
ricien par excellence du syncrétisme païen fut Ma- 
crobe. Ses Saturnales en sont comme le manifeste. 
Dans ce dia;logue, imité de ceux de Platon, l'homme 
qui par le prestige de son rang, par son autorité et 
par sa science sacerdotale, dirige la conversation, 
résume les avis et donne le ton aux débats, n'est 
autre que Praitextatus, le préfet de Rome et le 
père des pères du culte de Mithra. Parmi les inter- 
locuteurs figurent les plus grands noms de l'aris- 
tocratie païenne, Symmaque, le jurisconsulte Pos- 
tumius, Flavien, Avienus Nicomachus, le philo- 
sophe Eustathius, le grand médecin Disarius, le 
grammairien Servius, tous personnages réels, qui 
ont marqué dans l'histoire ou dans les lettres, et 
dont les recueils d'inscriptions nous énumèrent les 
fonctions et les dignités. C'est devantcette assemblée 
que Prœtextatus s'évertue à démontrer l'identité 
originelle et foncière de toutes ces divinités que 
l'ignorance et l'erreur ont seules séparées et op- 
posées. 

(t) Julian, xii-xvi. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. i05 

C'est ainsi que par l'effet d'un syncrétisme effréné 
toute démarcation en vient à s'effacer entre les reli- 
gions les plus disparates. Les dieux, jadis hostiles 
comme les cités, se réconcilient dans l'unité romaine. 
Les traits particuliers de leur physionomie 
s'émoussent ; leur personnalité se perd ou s'échange. 
Chacun d'eux devient à son tour tous les Dieux. 
Cette fusion s'opère au profit surtout du dieu solaire. 
L'œuvre commencée dans les sanctuaires d'Orient, 
poursuivie dans les mystères de la Grèce, s'achève 
aux; derniers siècles du paganisme dans la pleine 
faveur des mystères renouvelés. Bacchus, qui n'était 
déjà plus que le prête nom d'Apollon pendant les 
saisons d'automne et d'hiver, s'identifie avec Osiris 
et Sérapis, et finit par prêter ses formes ambiguës 
et ses attributs à Mithra lui-même. Comme Zeus, 
comme Sérapis, Hélios, et surtout Hercule, il 
devient un Invictus. La personnalité orientale de 
l'Hercule grec, longtemps dissimulée sous les fan- 
taisies anthropomorphiques des poètes, reparait dans 
tout son éclat. Pour les contemporains de Porphyre, 
il n'est plus que le Soleil et la fiction des douze 
travaux que sa marche dans les douze signes (1). 
Pour Plu tarque. Hercule « est incorporé au soleil et 
accomplit avec lui son évolution (2) ». Dans ses 
Dionijsiaques\ le poète Nonnus accumule sur lui 
la gloire de tous les dieux. » Hercule à la tunique 
astrale, prince du feu, gouverneur du cosmos, qui 

(1) Porph. dans Eusèbe : Prœpar. Evang., L. III, c. II). Voir aussi 
Servius. In Mneid, lib. VI, v. 294. 

(2) Plut. •: De Iside, cxli: tÇ y))Im £vtSpy[j.é\ov (7"J[j.7r£pt7roX£tv. 



d06 ESSAI SÛR LE CULTE ET- LES MYSTÈRES DE MITBRA. 

sur le disque brûlant du soleil, pousse ses chevaux 
sur la voûte de l'écliptique, bélier de l'Euphrate, 
Hammon, Apis, Zeus assyrien, Sérapis, Kronos, 
Phaéton, Mithra, Soleil de Babylone, Eros (1) ». 
J'arrête ici l'énumération qui n'est pas close. Le 
dieu Janus, trouvé jadis si rebelle à toute identifi- 
cation qu'on le reléguait seul dans un coin du ciel, 
rentre maintenant dans le système général. Lui 
aussi a droit à sa part de divinité solaire. Car il 
ouvre l'année avec le solstice d'hiver ; il compte 
douze autels, en l'honneur des douze mois, et ses 
deux mains portent le chiffre de 363. L'hymne 
curieux à Attis, conservé dans les Philosophoumena^ 
montre le dieu syrien identifié à la fois à Pan, 
à Bacchus, àSabazius, à Saturne, à Zeus, à Adonis, 
à Sérapis, à Men, à l'Adam de Samothrace etc. (2). 
Toutes ces divinités se fondent en un amalgane 
mystique, se mêlent, figurent côte à côte dans les 
inscriptions. Il en est de même des déesses ; Junon, 
Aphrodite, Démêler, Athéné, Hécate se distinguent 
à peine ou ne se distinguent plus des Astarté ou 
des Isis. On connaît les belles litanies de l'Isis 
myrionyme d'Apulée (3). La plupart d'ailleurs ne 
sont que le dédoublement des dieux mâles, leur face 
ou leur miroir, comme disaient les Phéniciens de 
leur Bélith. Leur personnalité n'est que d'emprunt 
et de retlet, comme l'éclat de la lune réfléchit celui 
du soleil. Tous les panthéons païens aboutissent à 

(1) Lib. XL, V. .^75. 

(2) Philosoph., lib. V, 169-171. 

(3) Apulée : Métam., lib. XI. 



ESSAI SUR LE CyLTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRÂ. 107 

l'apothéose du dieu solaire, dont le vrai nom pour 
le plus grand nombre est Mithra (1). C'est ainsi que 
dans les compositions mithriaques, le tableau se 
charge de plus en plus de divinités, traitées à la 
grecque ou à la Romaine, en qui l'on a peine à 
reconnaître les génies de la Perse et de la Chaldée. 
L'astre naissant chasse des monstres anguipèdes 
qui ressemblent aux Tétans, ennemis de Zeus. Les 
cinq planètes revêtent les corps des divinités de 
l'Olympe et la cour de Jupiter remplace le bêhesht 
ou le Paradis persan (2). 

En même temps et par les voies concordantes, 
la philosophie néo-platonicienne aboutissait à des 
conclusions identiques. Mêlant l'astrologie aux 
spéculations théologiques et la théurgie à la dialec- 
tique, elle proclame l'f/h, principe de toute chose, 
dont la manifestation sensible est le soleil. Il y a' 
parité étroite de doctrine entre Macrobe et Proclus, 



Ce fut surtout sa morale active et pratique qui 
valut au mithriacisme la faveur des derniers Ro- 
mains. 

La morale est l'expression la plus fidèle des 
forces intimes et réellement efficaces d'une religion . 
Elle en représente le suc et la moelle. Quand cette 
sève tarit, la religion dépérit et meurt, réduite à de 

(1) Sur le syncrétisme de ces derniers siècles, je renvoie eux 
chapitres du beau livre de J. Réville : la Religion sous les Sévù es. 

(2) Monument d'Osterbruckeû. 



•108 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. 

simples rites et à des formules, comme la plante 
desséchée à des fibres sans nourriture. Mithra mé- 
rita safortune parce qu'il sut garder de la pureté du 
culte de Mazda. S'il se dépouilla d'une partie des 
formes rituelles, presque aussi touffues et aussi minu- 
tieuses que celle du T'almud, il en conservera du 
moins l'esprit général et les directions spirituelles. 

La mazdéisme est par essence une religion mo- 
rale. Elle tient tout entière dans la lutte de la 
lumière contre les ténèbres, du bien, contre le mal 
et dans la victoire du premier principe. Le drame 
céleste, transporté dans le domaine de la conscience, 
gouverne la vie du croyant et commande toutes 
ses actions. La condition de la victoire est l'effort, 
effort de toutes les heures et que rien ne peut dé- 
courager. Les ferouers eux-mêmes n'acceptent la 
déchéance d'un corps mortel, que par vaillance et 
pour aider Mazda dans le combat universel contre 
le mal. Aussi à l'exemple de Mithra, le guerrier 
infatigable, qui ne dort ni jour, ni nuit, lemithriaste 
est avant tout un soldat, et le mithriacisme une 
milice. En cette doctriiie, les Romains sentaient 
revivre, avec la résignation et l'abstention en moins, 
l'allégresse de l'action en plus, quelque chose de 
l'esprit du stoïcisme, qui deux siècles auparavant, 
avait eu pour eux tant d'attrait ; en même temps 
qu'ils y trouvaient un ensemble de dogmes qui ré- 
pondait mieux à l'état présent de leurs âmes. 

Dès leur premier contact avec les Perses, les 
Grecs furent frappés par la supériorité morale de 
ce peuple de montagnards qui faillit conquérir le 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. 109 

monde et ils sentiront pour lui une vive admira- 
tion. On connaît le mot d'Hérodote : « Les Perses 
apprennent trois choses à leurs enfants ; à monter à 
cheval, à tirer de l'arc et à ne point mentir». Il vante 
la sûreté de leur parole et de leurs engagements. 
« La poignée de main d'un Perse, écrira Diodore, 
est le gage le plus certain d'une promesse. » Parole 
conforme à cette belle sentence de VAvesta : « Le 
contrat doit tenir envers le fidèle comme envers 
l'infidèle. » Défense est faite au mazdéen de con- 
tracter une dette ; car la dette induit au mensonge, 
qui est le plus grand péché contre Mithra. Xéno- 
phon, qui est un témoin, écrit son roman de la Cyro- 
pédie, comme plus tard Tacite sa Germanie^ pour 
opposer l'éducation virile et réservée des Perses, à 
la vie frivole et dissipée des jeunes gens d'Athènes ; 
et Platon lui-même reconnaîtra que leur culte est le 
plus pur que l'on rende aux dieux. 

Religion à base pessimiste, puisque pour elle la 
vie est une épreuve de l'âme et une diminution de 
l'être, le mazdéisme ne conclut pas, comme le boud- 
dhisme, à la suppressine de l'action et à l'anéantis- 
sement de la pensée. Une verse pas, comme quel- 
ques sectes chrétiennes, dans un ascétisme stérile. 
Le roi Yézdegerd reprochait aux chrétiens de ses 
États « de louer la mort et de mépriser la vie, de 
ne point faire cas de la fécondité de l'homme et 
de vanter au contraire la stérilité, de sorte que, 
si leurs disciples les écoutaient, ils n'auraient plus 
aucun commerce avec les femmes, ce qui amènerait 
la fin du monde ». Au contraire, le Persan a le goût 

Gasquet. — Mithra. 10 



'i:10 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA, 

Ik plus vif de la vie et de l'action. Ce n'est pas dans 
lu résignation, mais dans la lutte qu'il fait consister 
là vertu. Multiplier la vie et les œuvres de vie, c'est 
accroître le domaine de Dieu. La vie est le moyen 
que la divinité nous donne pour mériter les récom- 
penses futures. « Quelles sont, demande Zarathustra, 
les trois choses qui causent le plus de joie à la terre ? 
• — C'est d'abord, répond le dieu, la piété de l'homme 
Juste ; puis c'est là oii un homme juste se bâtit une 
tlemeure, pourvue de feu, pourvue de bétail, de 
femmes, d'enfants et de gens de service excellents ; 
la troisième, c'est là oii se cultive le plus de grains, 
d'arbres, de pâturages et d'arbres portant des fruits, 
oii l'on arrose les terrains secs et l'on dessèche les 
terrains humides. » « Qui sème le blé, sème la sain- 
teté, il fait marcher la loi de Mazda. » L'homme 
marié, dit encore le législateur, est préférable à celui 
qui ne l'est pas ; le père de famille a celui qui n'a 
pas d'enfants ; le possesseur de terres à celui qui 
n'en a point. » 

La loi de Mazda est une loi de pureté. Ce n'est 
pjas seulement la pureté rituelle qu'elle prescrit, 
maisla pureté en paroles, en pensées et en actions II 
n'est pas de formule qui revienne plus souvent dans 
VAvesia. Elle condamne dans les termes les plus 
sévères la prostitution, l'infidélité, les manœuvres 
abortives, la séduction des jeunes tilles. Elle vante 
la sainteté de l'état de mariage et l'avantage d'une 
nombreuse postérité. Elle fait au riche un mérite 
de faciliter l'établissement des filles pauvres. Ces 
maximes devaient plaire, aux Romains, qui depuis 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITIIRA. Ifl 

Auguste, multipliaient les lois contre le célibat, la 
dépopulation de Fltalie, la ruine de l'agriculture et 
l'extension menaçante des terres infertiles. La reli- 
gion, par ces opportunes prescriptions, prêtait em. 
législateur son autorité pour conjurer un mal, 
contre lequel toutes les forces de l'État s'avouaient 
impuissantes. 

A ces jugements pratiques sur la dignité de la 
vie et l'utile emploi de l'activité humaine, VAvesta; 
joint un sentiment très élevé et très délicat de la 
beauté morale. Je sais peu de pages, dans les litté- 
ratures antiques, plus poétiques et plus gracieuses 
que celles qui décrivent la mort du juste. « Dès que 
la lumière commence à poindre, l'âme de l'homme 
juste se trouve au milieu des plantes. Un souffle 
parfumé lui arrive du côté du midi. L'âme aspire 
ce souffle. Alors de ce parfum s'avance vers lui sa 
propre nature, sous la forme d'une jeune fille, belle , 
brillante, aux bras vermeils, de taille élancée et 
droite. — Qui es-tu-, toi, la plus belle des jeunes 
filles que j'ai jamais vues? — Alors sa propre nature 
lui répond : Je suis tes bonnes pensées, tes bonnes 
actions, la nature même de ton être propre. — Qui 
t'a parée de cette grandeur, de cette excellence, de 
cette beauté, qui répandent une odeur parfumée, 
telle que tu te présentes devant moi? — C'est toi, 
ô jeune homme, qui m'as parée de la sorte. Lors- 
que tu voyais ici-bas quelqu'un pratiquant les 
œuvres du mal, se rendant coupable de séduction 
OQ d'oppression, tu t'inclinais en l'avertissant, réci- 
tant devant lui les gâthas à haute voix. Ainsi tu 



112 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

m'a rendue, moi aimable déjà, plus aimable encore, 
belle, plus belle, désirable, plus désirable. » 

Quelqiies auteurs, pour avoir abordé, peut-ôtre 
avec quelque prévention, l'étude du mithriacisme, 
ont contesté la pureté de sa doctrine et prétendu 
faire de ses mystères une école de vice et d'immo- 
ralité (1). Cette thèse est fondée sur un document 
unique, dont l'interprétation reste fort douteuse. 
Il s'agit de la curieuse eténigmatique sépulture trou- 
vée dans le cimetière chrétien de Prétextât à Rome. 
Là, sont inhumés à côté l'un de l'autre, Vincentius 
qui s'intitule numinis autistes Sabazis, ■ prêtre du 
dieu Sabazius, et Aurélius — SDSIM — ce qui peut 
se lire sacerdos dei Solis invicti. Mithrse^ pontife du 
dieu Soleil invaincu Mithra. La tombe du premier 
est ornée de deux fresques ; l'une représente le 
banquet de sept prêtres ; l'autre nous peint la destinée 
de Vibia, l'épouse défunte de Vincentius. Entraînée 
dans les enfers, elle comparait devant le tribunal oii 
siègent Dis Pater et Abra Cura, c'est-à-dire Pluton 
et la bonne déesse Cora. Elle est assistée par Alceste, 
le type de l'épouse fidèle, qui par son dévouement à 
son mari à mérité de revivre, et symbolise ainsi la 

(1) AUard {Dernières persécutions) : p. 220 et suiv. « Il n'impose 
à ses fidèles bI austérité, ni renoncement, ni vertu. Les tombes 
des prêti'es et des initiés montrent des peintures immorales, des 
sentences matérialistes, mêlées à des images qu'on croirait 
échappées d'un pinceau chrétien. — 11 se propage surtout dans les 
camps, séjour des vices grossiers et des généreuses vertus. «Au 
contraire, voir Tertullien : De coronâ, c. xv, le passage qui 
commence ainsi : Erubescite, commilitones ejus, jam non ab ipso 
judicandi, sed ab aliquo Mithrœ milite « Et Idem: De prescrifit., 
c. XL : « Et summum pontificem unius nuptius statuit ; habet et 
virgines, habet et continentes. » 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTERES DE MITHRA. H3 

résurrection. Reconnue indemne de fautes, elle est 
introduite par son bon ange [angélus bonus) dans la 
salle du banquet des justes. Une inscription mutilée 
accompagne la fresque et place ces paroles dans la 
bouche de Vibia : plures me antecesseriint, omnes 
expecto. Manduca, Inbe, lude et veni ad me. Cum 
vives henefac hoc tecum feres » On peut traduire 
« Plusieurs m'ont précédé et j'attends tous (les 
autres) ; mange, bois, joue, et viens à moi. Fais toi 
du bien tant que tu vivras^ cela seul tu C emiporteras 
avec toi )> ou « Fais le bien tant que tu vivras., tu 
n'emporteras que cela dans la tombe » La tombe 
d'Aurélius est sans peinture ; à côté seulement sont 
dessinées deux figures, en qui l'on prétend recon- 
naître le me/es de Mithra; au sommet deVarcosolium, 
est figurée une Vénus nue, entourée des emblèmes 
des quatre éléments. On lit sur une inscription ces 
paroles étranges : Qui basia, voluptatem jocum 
alumnis suis dédit » (1). , 

La singularité de cette tombe appelle quelques 
remarques nécessaires. 

A part l'inscription SPSIM, dont le sens est hy- 
pothétique, rien n'y suggère l'idée du culte et des 
mystères de Mithra. La Vénus nue, vue de dos, 
environnée des quatre éléments, fait penser à une 
déesse-nature de la Phrygie ou de la Ghaldée. On 
ne la retrouve sur aucun monument mithriaque au- 
thentique. L'absence même de toute figure féminime 

(1) Voir Garucci : Mystères du syncrétisme phrygien (Cahier et 
Martin, t. IV). Le Blanc : Inscr. c/irét. de la Gaule, T. ][, p. 71 •; 
Lenormant : Rev. arch., t 29, ann. 1815. Rossi : Bullet., 1870. 

10. 



114 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITRnA, 

sur ses monuments est une des particularités signa- 
létiques du mithriacisme. Le personnage lauré, 
en qui l'on a cru reconnaître un miles, me paraît 
douteux. Le miles des mystères, si on lui présente 
une couronne, doit la repousser et répondre : Mithra 
est ma seule couronne. 

Tout au plus pOurrait-on supposer que l'Aurélius 
du cimetière de Prétextât, appartient à quelque 
secte dissidente issue du Mithriacisme, à quelque 
hérésie mithriaque. L'hypothèse n'auraitrien d'im- 
possible. A l'ombre des églises officielles, à côté 
d'elles et contre elles pullulaient des sectes pareilles, 
témoignage de la fermentation religieuse qui agita 
les derniers siècles du paganisme et les premiers 
du christianisme. J, Darmesteter nous apprend 
qu'en Perse, après la réforme du Sassanides, plu- 
sieurs sectes à tendances épicuriennes se réclamaient 
du Zoroastrisme. Bien qu'illégitime, cette descen- 
dance s'explique par cet amour de la vie et des 
œuvres dévie qui éclate dans les versets do VAvesta 
et que le livre sacré concilie avec les prescriptions 
les plus minutieuses concernant la pureté. 

Sans recourir à cette hypothèse, on ne saurait 
trop s'étonner de l'opposition qui éclate entre le 
texte des inscriptions et les tableaux qu'elles 
semblent devoir illustrer. C'est la descente d'une 
âme pure aux enfers que ceux-ci représentent, sa 
justification et son admission au ciel des bienheu- 
reux. Un bon ange l'accompagne et Alcestre l'escorte, 
l'épouse modèle, qui pour son dévouement mérita 
d'être ressuscitée. Et c'est de la bouche de cette Vibia, 



ESSAI SUR LE CULTE" ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 118 

femme aimée et honorée par son mari, que sortent 
ces triviales invitations au matérialisme le plus gros- 
sier, cette négation de la récompense d'outre-tombe ! 
Cette contradiction suffit seule à tenir en défiance. 

Elle a justement inquiété le sagacité du docte 
Rossi, Il remarque que peut-être les paroles de Yibia 
ne font pas allusion à de honteuses orgies et qu'elles 
se rapportent à ce banquet des bienheureux où 
l'épouse justifiée est conviée àprendre sa place. Dans 
VAvesta, ajoute-t-il, tout parle de purification de 
l'âme. Mithra est appelé par excellence le pur, et 
l'inscription du mithrseum, d'Ostie le qualifie de 
jiivenis incorruptiis. Il rapproche enfin la fresque 
de Prétextât de celle de Saint-Clément, où est figuré 
le chaste Hippolyte fuyant les séductions de l'inces- 
tueuse Phèdre et pressant avec ses compagnons les 
préparatifs de la chasse. La vie éternelle lui est pro- 
mise pour prix de sa vertu. 

L'inscription manduca, bibe, Inde du tombeau 
de Vincentius, fait penser à une autre inscription, 
plus Abeille de bien des siècles et qui s'exprime en 
termes absolument identiques. Arrien nous rap- 
porte (l) que lorsque les soldats d'Alexandre tra- 
versèrent la Cilicie, ils trouvèrent à Anchiale, près 
de Tarse, le tombeau, dit de Sardanapale, sur lequel 
on lisait le fameux : Izxiz, r:bn, '::aTÇ£, que devait ré- 
péter si longtemps après la Yibia des catacombes. 
Les Grecs, dit Arrien, furent scandalisés et la fâ- 
cheuse réputation du fabuleux monarque assyrien 

(1) Arrien, H, 5. 



116 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA- 

tient peut-être à cette lecture. Or le monument 
d'Anchiale n'est pas le tombeau de Sardanapale. 
C'est un pyrée, semblable à ceux des médailles de 
Tarse, probablement élevé en l'honneur du dieu 
régional, Sandan, l'hercule assyrien, qui, purifié 
par la flamme du bûcher, retourne au ciel se con- 
fondre dans la gloire du soleil. On a supposé encore 
qu'il s'agissait du tombeau de Sennuchérib, le 
second fondateur de Tarse, dont Bérose nous apprend 
qu'il se fit élever un monument recommandant 
V à la mémoire des siècles sa vaillance et sa ver- 
tu » (1). Dans les deux cas, nous surprenons 
la même contradiction, précédemment relevée, 
entre la signification du monument et le sens litté- 
ral des paroles prêtées au héros. Il ne nous appartient 
pas de la résoudre ; il nous suffit de la constater. 
Peut-être sont-ce là tout simplement des paroles 
mystiques, dont le sens réel nous échappe, et que 
se transmettaient de siècle en siècle les initiés, 
comme celles des mystères d'Eleusis, relatives, au 
cyceun et au tympanon^ qui ne sont pas sans res- 
semblance avec elles. 

Pour conclure, il est peu vraisemblable que le 
mithriacisme soit intéressé dans les découvertes 
faites au cimetière de Prœtextat ; le fùl-il, les 
inscriptions et les dessins que ces tombes ren- 
ferment ne prouvent rien contre la moralité de 
son culte. 

11 serait assurément téméraire de conclure à 

I 

(1) Voir le Mémoire de R. Rochette : l'Hercule assyrien. (Ac. 
I.B. L. t. XV1L1 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 117 

l'identité absolue de la doctrine avestéenne et de 
l'enseignement donné dans les mystères de Mithra. 
Les mêmes causes qui, à travers les siècles, ont 
altéré le dogme persan, et détruit même la hiérar- 
chie de ses dieux, les adaptations successives aux- 
quelles Mithra s'est prêté, ont dû certes exercer leur 
action sur d'autres parties de la doctrine. Il est cer- 
tain que VAvesta ne fut pas le livre sacré, la Bible 
des mithriastes. Du moins se réclamaient-ils de 
Zoroastre et de la tradition de son enseignement, 
conservé au sein de ces sectes religieuses de l'Asie, 
qui précisément à la même époque, reconstituaient 
le texte perdu et proscrit et restauraient le ma- 
gisme. Remarquons encore* que VAvesta est une 
morale, bien plus qu'une mythologie ; autant l'une 
est indigente, autant l'autre est riche en préceptes - 
d'une rare élévation. Seule celle-ci méritait de sur- 
vivre. Tout ce que nous savons par les anciens de 
l'histoire et de la morale dumithriacisme, le témoi- 
gnage même que lui rendent les auteurs chrétiens, 
établit et fortifie cette concordance. Faut-il ajouter 
que, de nos jours encore, les Parsis ont gardé fidè- 
lement l'observance des préceptes de Zoroastre, et 
qu'ils se distinguent entre toutes les populations 
de l'Inde, par les mêmes vertus que recommande 
le livre sacre? sévérité des mœurs, goût de la vie 
familiale, aversion du mensonge, probité dans les 
transactions, amour du travail. Ces qualités, aux- 
quelles il faut joindre de secrètes affinités de na- 
ture, déjà signalées, et la singulière opportunité de 
sa prédication, expliquent la séduction particulière 



118 ESSAI SUR LE CULTE ET LES M-YSTÈRES DE MYTHRA. 

que le mithriacisme exerça sur les Romains de la 
dernière période de l'empire, 



Quand le christianisme apparaissant à la lumière 
des prétoires força les lettrés et les gens du monde 
à s'occuper de lui, après l'avoir d'abord pris pour 
une secte juive, on le confondit avec un de ces 
cultes solaires, qui venaient si nombreux de 
l'Orient. L'empereur Adrien, visitant cette Alexan- 
drie oii fermentait l'agitation religieuse de tant de 
sectes discordantes, ne distingue pas encore nette- 
ment les adorateurs de Sérapis de ceux du 
Christ (1). Mais déjà Gelse, mieux informé, démêle 
des ressemblances entre le christianisme et le culte 
de Mithra : « Celui, dit-il, qui veut comprendre les 
mystères des chrétiens doit les comparer avec les 
mystères des Perses (2), » et lui-même institue 
cette comparaison au cours du traité que réfute 
Origène. Tertuilien à son tour avoue des analogies 
qui ont pu prêter à la confusion. « D'autres, dit-il, 
cette fois avec jjIus de bienveillance pour nous et de 
vraisemblance^ croient que le soleil est notre dieu, 
parce que, pour prier, nous nous tournons vers 



(1) Ep. Eddr. nd Servianum (FI. Vopiscus : Salvrnini vita). 
« ilii qui Serapiin colunt, christiani sunt et devoti sunt Serapi 
qui se Christi episcopos dicunt. » 

(2) Origine : ad Celsum, cap. 24. Trad. « Absoluto de Mithriacis 
sermone, déclarât Ceisus eum qui mysteria christiana exigere 
voluerlt ad Persarum mysteria, alia cum aliis comparaverit, 
cogniturum quid inter utraque iatersit discriminls. » 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITURA. Ad 

l'orient et parce que nous faisons du jour du soleil 
<ielui du repos et de la joie ; mais nous agissons ainsi 
pour des raisons tout autres (1), « Saint Augustin 
relève les mêmes confusions, en ajoutant que les 
■chrétiens célèbrent le créateur dans sa création. 
Il faut dire que les chrétiens, surtout ceux 
d'Orient, par leur langage tout pénétré de formules 
empruntées aux religions de la Syrie et de la Perse, 
•entretenaient eux-mêmes cette illusion. Pour 
l'évangéliste d'Ephèse, Christ est la lumière venant 
en ce monde. L'Apocalype abonde en images et en 
symboles qui portent la marque de la Perse et de la 
•Chaldée. Ignace d'Ephèse parle en ces termes de la 
venue du fils de Dieu : « Un astre a brillé dans le ciel 
au-dessus de tous les astres, et les astres ainsi que le 
•soleil et la lune, lui ont fait cortège ; et lui-même 
par son éclat éclipsait toutes les lumières (2j. » 
Plus étrange encore est la réflexion de Meliton de 
Sardes : « Si le soleil, la lune et les étoiles se 
plongent dans l'océan, pourquoi le Christ ne se 
serait-il pas plongé dans le Jourdain? » Car il est 
« le soleil qui s'est élevé de l'orient (3) •>->. On accu- 
mulerait les citations dé ce genre, qui excusent 
l'erreur des païens. Le chrétien, mis en demeure 
•de sacrifier aux idoles, répondait par le mot de 
l'exode (c qu'il ne sacrifierait qu'à Dieu seul » 
(Domino so/i). Le magistrat habitué à lire la même 

(1) TertuUien : ApoL, c. xvi. «Alii plane humanius vel verisi- 
•milius soleiu credunt deum nostrum, etc. » 

(2) Ignatius, Eph.. 19, 2. 

(3) Melito (Frag. Ttôpi ).o-jTpo-j dans les les Analecla deDomPitra) 
cité par G. Wobheriuin, p. 127, op. cit. 



120 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE 'MITHRA. 

formule sur les monuments et les monnaies, répli- 
quait: « Sacrifie donc au dieu soleil? » Ce jeu de 
mot qu'on retrouve dans les Actes des martyrs était 
fort, connu, et plusieurs auteurs chrétiens prennent 
la peine d'en donner l'explication (1). 

Mais ce sont surtout les sectes gnostiques, mai 
séparées encore pour les profanes de l'orthodoxie 
chrétienne, qui travaillent de propos délibéré à 
cette confusion (2). Transfuges de tous les sanc- 
tuaires de l'Orient, ces dangereux hérétiques pré- 
tendent appliquer au christianisme les procédés du 
syncrétisme, qui a déjà fondu et amalgamé les 
religions asiatiques. Peu faits à la simplicité de& 
Ecritures et du culte primitif, il s'efforcent de 
découvrir un sens caché et raffiné au texte sacré. 
Ils se réclament de révélations particulières, d'une 
doctrine secrète de Jésus, transmise aux apôtres, 
et multiplient les écrits apocryphes, qui ont laissé 
tant de traces dans les traditions populaires. A la 
liturgie trop sèche et trop nue de la synagogue, ils- 
mêlent les pratiques des mystères chaldéens, 
phrygiens, égyptiens, et, selon la forte expression 
d'un Père, « diffament le Christ en lui prêtant 
les traits et les attributs d'Attis, d'Adonis et 
d'Osiris» (3). Ils prodiguent les charismes, les arts- 
magiques, l'astrologie, les formules d'incantation. 

(1) Saint Augustin, De civifate Dei, 19. Voir Le Blant : Les persé- 
cutions et les Martyj's, c. vu. 

(2) Sur les gnostiques, voir surtout l'auteur des Philosophou ■ 
mena, lib. V, et saint Épiphane: Contra hoer. 

(3) Philosoph.. lib. V, c. cxl-clu : » Congerentes mysteria 
ethnicorum, diffamantes Christum. Inventores novae grammaticae: 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTERES DE MITERA^ 121 

Ceux-ci voient dans l'astre Céphée Adam, Eve dans 
Canopée, le logos dans Persée; ceux-là suscitent 
Hercule pour combattre contre les mauvais anges, 
et* ses douze travaux ne sont que les péripéties de 
cette lutte. Mais ce sont surtout les spéculations de 
Platon et de Philon sur le logos qui exercent leur 
subtile dialectique. Il devient pour eux, le Christ, 
dont Hermogène place le tabernacle dans le soleil. 
D'autres l'identifient au mystérieux lao chaldéen, 
interprétant de façon nouvelle l'oracJe de Clàros, 
qui consulté sur ce dieu, avait répondu : « Sache 
que le premier des dieux est /«o, qui s'appelle Hadès 
pendant l'hiver, Zeus au printemps, le Soleil l'été 
et lao l'automne (1). » Jésus devient un éon et on 
lui donne pour assesseurs 360 éons inférieurs, qui 
répondent aux 360 degrés du zodiaque. Basilide ex- 
prime la toute-puissance divine par le terme magique 
à^abraxas qui reproduit par la valeur numérique de 
ses lettres le chiffre de 36S. Saint Jérôme (2) cons- 
tate que les mithriastes usent du même procédé et 
obtiennent le même résultat, en opérant sur le& 
lettres du mot MeÀthras. Le secte des pauliciens, 
qui subsista jusqu'au xii° siècle sur les bords d& 
l'Euphrate, Aboyait distinctement la figure du Christ 
dans l'orbe solaire. Le succès des manichéens, qui 
. séduisirent un instant la jeunesse de saint Augus- 

artis vatem suum Homerum hœe prodere per arcana profltentur 
et sacrarum scripturarum expertes in talia commenta abducen- 
tes, ludifjcantur. » 

(1) Macrobe : Saturn., i, c. xvrii. 

(2) Saint Jérôme. Comm. in Amos, 9-10 : « Quem ethnici sub 
eodem nomine aliarum literi'arum vocant Metôpxv. » 

Gasqdet. — Milh'a. 1 1 



122 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITBRA. 

tin, est surtout fondé sur l'alliance des cultes mi- 
thriaque et chrétien. Ils avaient formé « une sorte 
de glu des syllabes du nom de Dieu, de celui de 
Jésus -Christ et du Paraclet, l'esprit saint consola 
teur » (1). « Quel aliment, continue le Père, 
offraient-ils à mon âme affamée ? C'était au lieu de 
vous, le soleil et la lune, œuvres splendides de vos 
mains, mais enfin vos œuvres et non pas vous. » 
A la conférence contradictoire de Cascar. l'évêque 
Archélaûs dit à Manès : « Prêtre de Mithra, tu 
n'adores que , le soleil » ; et dans la cérémonie de 
réconciliation imposée aux manichéens, on leur 
fait jurer que le Christ et le Soleil ne sont pas 
pour eux la même personne (2). 

En réalité, le mithriacisme et le christianisme 
^ doivent fort peu l'un à l'autre. Les analogies sont 
toutes de surface. Les croyances et les dogmes mi- 
tliriaques plongent leurs racines dans les traditions 
très lointaines de la Perse et de la Chaldée. Ils 
procèdent de données premières, dont on peut 
vérifier l'origine et qui furent fécondées par la 
science des prêtres et les leçons de la philosophie 
grecque, pour les accommoder aux goûts, aux idées 
et aux formes de la civilisation greco-romaine. Sa 
symbolique était arrêtée, avant que ne se répandît 
la foi des chrétiens, puisque Stace, le contemporain 
de Domitien, nous dépeint déjà Mithra sous les 
attributs et avec le geste qu'il gardera jusqu'à la 
fin. Il est toutefois vraisemblable que le désir de 

(!) Saint Augustin : Confes., lib. III, c. iv. 

^2) Saint Épiph. : Adv. liserés, t. II, lib. ii, par. 4G. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 125 

rivaliser avec le christianisme et d'entraver sa pro- 
pagande, a pu conduire, surtout dans les derniers 
temps, les mithriastes à insister davantage sur cer- 
taines analogies et à donner plus de relief à quelques- 
uns' de leurs symboles. L'introduction sur le& 
monuments de la dernière époque du repas sacré, 
surtout l'extension du taurobole doivent procéder 
de ce sentiment. Grégoire de Naziance accuse for- 
mellement Julien d'avoir été guidé dans sa politique- 
religieuse par un parti pris d'imitation sacrilège ; 
et tout dans la conduite de l'empereur justifie ce 
reproche (1). C'est une préoccupation de même 
ordre que semble trahir ce propos d'un prêtre do 
Mithra, rapporté par saint Augustin : « Mithra est 
chrétien (2). » 

Quant au christianisme, comme pendant long- 
temps il ne recruta sa clientèle que parmi les déser- 
teurs des cultes paiens, « qu'on ne naissait pas- 
chrétien, mais qu'on le devenait, « il est inévitable 
qu'une foule de termes empruntés à la langue des 
mystères ait passé dans la sienne, que des usages se 
soient maintenus, que certaines dévotions exté-; 
rieures se soient fait leur place dans le nouveau! 
culte (3). Les gnostiques, qui prétendaient jeter lel 
pont entre les deux religions et les concilier grâce 
à l'interprétation arbitraire des symboles, aidèrent 

(1) Grég. de Naziance, Orat. cont. Jul., 1. c. lu: A^fiaTt [aèv 
oy)^ôffffp 10 Xo-JTpbv àuopp'JTrrsTat, ir^ zaô'ï;[Aâç Tc),£!W(7t TviV Tc).£tw(7tv- 
TO-j jA-lcroyç àvTtTtôslç. 

(2) Saint Augustin , In Joannem, 5. 

(:î) Voir la longue liste de ces emprunts dans G. Anrich, Da» 
antike Mystei-iénwes,:n, c. i\ . 



124 . ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

beaucoup à ce passage. On avait beau dépouiller 
le vieil homme et revêtir par la foi et le baptême 
de Jésus un homme nouveau, les habitudes d'esprit 
étaient plus tenaces que l'idée religieuse elle-même. 
La rupture ne s'opérait pas d'un coup brusque et 
absolu ; la conversion changeait l'âme, les yeux 
s'ouvraient à une lumière inconnue, mais les 
termes manquaient pour noter les sentiments qui 
s'agitaient confusément au fond des âmes. Les 
moules de la pensée restaient intacts, quand la 
pensée s'était déjà modifiée. Saint Paul lui-même, 
pour se faire entendre, emprunte aux mystères les 
termes d'initiation et d'époptie. Il faut considérer 
enfin qu'après la conversion des empereurs, et sur- 
tout après l'échec de la restauration de Julien, la 
foule longtemps indécise, hésitante à prendre parti, 
se précipita dans l'Eglise. Les temples païens se 
fermèrent, les basiliques se remplirent. A ces nou- 
veaux venus les évoques ne pouvaient opposer les 
barrières, interjeter strictement les délais, qui 
étaient justement imposés aux catéchumènes, afin 
de les instruire et d'éprouver leur foi. Ces conver- 
sions en masse, sans altérer la doctrine, laissèrent 
pourtant filtrer bon nombre d'éléments de prove- 
nance étrangère. L'Eglise, toute à la joie de son 
triomphe, sûre d'ailleurs, avec la connivence du 
pouvoir, d'avoir raison des dernières résistances 
de ses ennemis et de rester à l'abri de. leurs revan- 
ches, ne se montra ni trop sévère, ni trop exi- 
geante. Même elle crut pouvoir sans danger com- 
poser avec quelques-unes des superstitions les plus 



ESSAI -SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 125 

profondément enracinées dans les habitudes popu- 
laires. Au lieu de les heurter de front, elle préféra 
les adopter, et les sanctifier en les faisant siennes. 
C'est ainsi que plusieurs des fêtes et des pompes 
du paganisme, celles surtout qui associaient la divi- 
nité aux changements des saisons qui rythment les 
travaux périodiques de la terre, devinrent chré- 
tiennes. 

La plus notable et la plus heureuse de ces adap- 
tations consista à fixer. la fête de la Nativité au 
25 décembre, le jour même des Natdlitia de Mithra 
et celui où le soleil entre dans le solstice d'hiver. 

C'était une des grandes fêtes du paganisme ; elle 
succédait immédiatement aux saturnales ; des jeux 
solennels et magnifiques étaient donnés par le 
prince en l'honneur de l'Invincible (1). La foule se 
pressait à ces réjouissances, et les chrétiens eux- 
mêmes ne pouvaient s'arracher à la séduction du 
spectacle et à la contagion de la joie générale (2). 
Ce jour n'était pas seulement la fête de la renais- 
sance de Mithra ; tous les adeptes des cultes so- 
laires saluaient en lui l'apparition du soleil nouveau. 
Vers la même date, en effet, le 7 du mois de paophi, 
d'après le calendrier égyptien, se célébrait la fête 
de la naissance d'Horus ou Harpocrate. Ce jour-là, 
dit Macrobej on présentait le soleil naissant sous 
la figure d'un petit enfant; comme plus tard au 



(1) Voir les textes réunis par Mommsen : C. I. L., t. I, p. 409. 
Julien, le Roi-Soleil, c. xx. 

(•2) Le texte du Scriptor Syrus cité par Mommsen: « Horum 
solemnium et festivitatura etiam ctiristiani participeserant. » 



126 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTERES DE MlTfiRA. 

printemps, on lui prêtait la forme d'mi jeune 
homme vigoureux; au solstice d'été celle d'un 
homme barbu dans sa pleine maturité, enfin celle 
d'un vieillard décrépit, appuyé sur un bâton. 
Toutes les phases de cette vie annuelle étaient soi- 
gneusement consignées dans un livre spécial: Les 
anniversaires d'Horus (1). Les mystères de Liber, 
et probablement d'autres encore, avaient emprunté 
les mêmes usages (2). 

L'Eglise, pendant trois siècles, ne s'était pas préoc- 
cupée de déterminer l'anniversaire de la naissance 
du Christ. Les évangiles ne disent rien de cette 
date. Cependant à défaut d'une tradition authen- 
tique, des calculs particuliers essayaient de la fixer 
au moyen des repères fournis par les évangélistes. 
Clément d'Alexandrie donne comme probable le 
19 avril; d'autres celle du 29 mai ; d'autres encore 
s'arrêtent à celle du 28 mars (3). Vers le milieu du 
iv" siècle, on célébrait à Rome la Nativité, celle 
du 6 janvier. C'est seulement en 354, que, pour la 
première fois, le papeLiberius fixa la fête au 2S dé- 



fi) « HfB autem diversitates ad solem referuntur, ut parvulus 
videaturhiemali solstitio, qualem ^gyptii proferunt ex adyto die 
certQ, quod tuuc brevissimo die veluti parvus et infaus videatur^ 
exiude autcin, procedentibus augmentis, œquinoctio vernali sitni- 
liter atque adolescentis adipiscitur vires, figuraque juvenis orna- 
tur ; postea slatuitur œstas plenissima effigie barba solstitio 
éestivo, quo teinpore summum sui consequituraugmentum. Exinde 
per dimiiiutiones dierum veluti senescenti quarta iorma deus 
figuratur. » (Macrobe, Saturn., i, c. xvxii}. Voir aussi Maspero : 
Les dieux de VÉgyide. 
. (2) Macrobe, Ilddem. 

(3) Sur la fixation de cette date, voir abbé Duchesne, Les 
origines du culte chrétien, c. vu, § 5. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. i2T 

cembre. Toutefois l'Orient n'accepta cette date que- 
vingt-deux ans plus tard. Nous le savons exacte- 
ment par le texte de l'homélie prononcée par 
saint Jean Chrysostome à Antioche, en 386 (1) : 
(f Yoici la dixième année à peine que cette date 
nous a été pleinement connue. » Alors aussi appa- 
raissent, comme une floraison spontanée et char- 
mante, ces noëls de l'enfance du Christ, dont le- 
poète Prudence et saint Paulin de Noie semblent 
avoir dès lors jQxé le type (2). 

Certaines circonstances particulières qui ont poé- 
tisé le récit de la nativité, la grotte oii naquit l'en- 
fant, la présence des mages guidés par l'étoile auprès 
de la crèche de Bethléem, ont pu faire supposer 
une influence plus directe encore de souvenirs- 
empruntés au culte de Mithra, dans l'élaboration de 
la légende de l'enfance. Mais cette impression 
s'atténue, quand on considère de près les textes et 
les faits. L'arrivée des mages à Bethléem est déjà 
mentionnée dans saint Mathieu; c'est dire qu'elle 
remonte aux temps les plus lointains du chris- 
tianisme. Les mithriastes ne sont pour rien dans- 
cette rencontre. Elle résulte plus simplement de 
l'application de la prophétie d'Isaïe (ch. 60) an- 
nonçant (jue les peuples et les rois les plus éloignés 

(1) Jeau Chrysostome, liomel. in diem nalalcm. Pa.troL Gr.. 
t. XLIX, tfad. : « Nondum decimus annus est ex que hic ipse dies 
manifeste nobis annotuit... Non aliter hic dies, cum ab exordio 
lis qui in occidente habitant cognitus fuerit, nunc ad nos demum 
non ante multos annos transmissus... « 

(2) Prudence, Kalhemerinnn, XI et XII. Paulin de Noie: Felicis 
natal, carmen., 9. Rapprocher le chant des mystères d'Adonis 
yaips vy[/.çtï, y^o-Xçz véov çûç 



• 128 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

viendront, à Jérusalem adorer Jéhovali, apportant 
en présents de l'or et de l'encens; et aussi d'un 
passage du psaume 72, qui fait allusion au Messie 
attendu (1). Et ces ambassadeurs furent les mages, 
sans doute à cause du souvenir reconnaissant que 
les Juifs de la captivité avaient gardé de la sagesse 
et de la science des prêtres persans (2). L'adoration 
des mages est d'ailleurs un des motifs les plus an- 
ciens et les plus fréquents qui ait inspiré les artistes 
chrétiens dans la décoration des catacombes. Ils y 
voyaient comme un« figure de la vocation des gen- 
tils. Au contraire, le motif de la nativité, avec les 
accessoires de la crèche, du bœuf et de l'âne, n'ap- 
paraît qu'à une époque très postérieure. Elle se 
laisse voir pour la première fois sur la fresque de 
San Sebasttano, qui est du milieu du vi^ siècle, 
c'èst-à-dire, du temps même où la nativité com- 
mence à être fêtée officiellement ; elle est contem- 
poraine des premiers noëls, comme si tous les 
arts avaient en même temps conspiré à l'apothéose 
de l'enfance divine. 

La première mention qui soit faite de la grotte 
oiî naquit Jésus se trouve dans saint Justin, qui 
vivait au ii° siècle (3). Natif de Sichem, il se fait 
probablement l'écho d'une légende palestinienne, 
déjà répandue de son temps. Il est aussi le premier 
qui compare cette grotte à la caverne de l'initiation 



(1) Voir la discussion de Strauss, chap. iv, § 3G. 

(2) Krause, Hist. de Vai't chrétien, p. 151. Pératé : AnliquHês 
chrétiennes. 

(3) Justin, Blal. cont. Tryph., c.lxxviii. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITIIRA. 129 

mithriaque, et il voit un piège du démon dans 
cette ressemblance. Un siècle plus tard, Origène, 
pour confondre les doutes qui s'élèvent parmi les 
controversistes sur le lieu de la naissance du Christ, 
"tranche le débat par cet argument : Ne montre-t-on 
pas à Bethléem la grotte où il a vu le jour (1)? 
Beaucoup plus tard encore, saint Epiphane s'efforce 
de mettre d'accord les versions contradictoires qui 
ont cours siir la grotte, en même temps que sur 
l'étable et la maison dont parlent les évangiles ; il 
les explique par des séjours successifs de l'enfant 
miraculeux (2). Mais dès lors le rapprochement, 
qui avait frappé saint Justin, s'était fait de lui- 
même dans l'esprit de la foule ; de là à conclure à 
un emprunt d'un culte à l'autre, il n'y avait qu'un 
pas. Toutefois et malgré la vraisemblance, j'ai 
peine à reconnaître un souvenir de Mithra dans la 
légende de la grotte de Bethléem. Je verrais bien 
plutôt en elle la grotte d'Adonis, que visita saint 
Jérôme et qui inspirait cette réflexion au pieux 
solitaire : « Bethléem, qui est pour nous aujour- 
d'hui le lieu le plus auguste du monde entier, fut 
ombragé jadis par un bois sacré de Thammouz, 
c'est-à-dire d'Adonis; et dans la grotte où le 
Christ, petit enfant, a vagi, l'amant de Vénus était 
pleuré (3). » 

Si l'Eglise adopta la date du 25 décembre pour 



(1) Ovig., Ad Cels. i, 51. 

(*2) Saint Épiph. , Advevs. hœres, li. (Migne, Pat. Gr., t. T, pag. 927). 
(3) Saint Jérôme, Ep 49 ad Paul. : « Et in specu ubi quondum 
Christus parvulus vagiit, Veneris amasius plangebatur. » 



130 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITIIRA. 

' arracher le peuple à l'attrait qu'exerçaient sur lui 
les fêtes du Nalalis Invicti (1) et si les princes chré- 
tiens continuèrent à donner ce jour-là des jeux 
magnifiques (2), il restait à prémunir les fidèles 
contre des confusions fâcheuses, et à les mettre en 
garde contre des souvenirs qu'il importait d'abolir. 
Nul ne s'y appliqua avec plus d'activité et de succès 
que saint Ambroise. Nous n'avons pas moins de 
six sermons de ce prélat sur la nativité. Tous sont 
significatifs et montrent avec une précision, qui ne 
laisse place à aucune équivoque, dans quelles con- 
ditions et sous le couvert de quelles idées, s'opéra 
la substitution de la fête chrétienne à la fête 
païenne. « Gomment s'étonner, dit-il, que la lumière 
augmente en ce jour, oii un nouveau soleil de justice 
a brillé sur le monde, oii la lumière splendide de 
la Vérité a illuminé la terre? Dieu, dans une même 
naissance a apporté la lumière et aux hommes et 
aux jours. » Et ailleurs : « Dans un certain sens, la 
foule a raison d'appeler la nativité le jour du soleil 
nouveau. Les juifs et les gentils s'accordent pour 
appeler ainsi cette fête. Mais, nous aussi, nous re- 
vendiquons volontiers cette interprétation, puis- 
qu'au moment oii le Sauveur est né, se levait 
l'aurore du salut pour le genre humain, en même 



(1) Auctor Syrus (cité par Mommsen) : a Cum vero animadver- 
terent doctores ad hoc festum propendere Cliristianos, consilio 
inito, statuerunt hoc die vera natalitia esse celebranda. » 

(2) Corippus : De laude Justin. Min., i, v. 314 : 

Esse deum 50]eni rectâ non mente putantes. 

tune munere Solis adempto, 

Principibus delatus hoiios. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MiTHRA. 131 

temps que se renouvelait la clarté du soleil (1). » 
Plus d'un demi-siècle après saint Ambroise, le 
pape saint Léon se croyait encore obligé de réagir 
contre les souvenirs trop tenaces qu'avait laissés la 
religion' du soleil et le culte de Milhra. « Gardez- 
vous, disait-il à ses auditeurs, des embûches du 
démon ; fermez vos oreilles aux paroles empoison- 
nées de ces gens, qui veulent qu'un tel jour mérite 
d'être honoré, moins à cause de la nativité du 
Christ qu'à cause de la naissance du soleil nouveau, 
comme ils l'appellent (2). 

La fixation de la nativité au solstice d'hiver 
est, croyons-nous, le seul emprunt positif que le 
christianisme ait fait au culte de Mithra ; bien que 
des calculs du même ordre soient souvent intervenus 
pour déterminer la date de la passion et de la 
résurrection du Christ et la faire concorder avec 
l'équinoxe du printemps. Peu à peu le mithriacisme 
s'éteignit. L'une après l'autre, toutes les grandes 
familles de l'aristocratie romaine qui l'avaient 
embrassé et soutenu, se laissèrent gagner par la 
prédication chrétienne. Peut-être serait-il possible 
de suivre à travers le moyen âge les traces laissées 
dans les superstitions populaires et les usages locaux 

(1) Saint Âmbr.i Sermo iv : « Uno eodemque ortu lucem pariter 
intulit et homiaibus et diebus. » Senno vi : Bene quodammodo 
sanctum huuc diem natalis Doinini solem novuin vulgus appel- 
lat... Quod libenter amplectendum nobis est, quia oriente Salva- 
tore, non soliiu humani generis salus, sedetium solis ipsius cla- 
ritas innovatur... » 

(2) Saint Léon, Sermo xxii : « Persuasione pestiferâ quo- 
rumdam, quibus htec solemnitatis nostrae, non tam de nativitate 
Christi quaui de novi, ut dicunt, solis ortu honorabilis vidoatur. » 



132 ESSAI sua LE CULTE ET LÉ^ MYSTÈRES DE MITHRA. 

par les cultes solaires. Mais cette étude serait en 
somme de peu d*intérôt. De ces souvenirs on trou- 
verait des vestiges dans quelques sectes obscures, 
issues du manichéisme, et aussi dans les spécula- 
tions astrologiques de quelques théologiens qui 
dans les phénomènes du ciel, s'efforcent de dé- 
couvrir la figure et l'explication des mystères chré- 
tiens. L'iconographie garda longtemps quelques- 
uns des emblèmes familiers aux cultes solaires ; 
les grifFons, la lutte du lion et du taureau. Sur les 
sarcophages, et sur les portails de nos vieilles 
églises, on voit encore figurer les sept planètes , le 
soleil et la lune, tantôt avec la face humaine et en 
buste, tantôt sur le quadrige et le bige des monu- 
ments romains ; quelquefois même le soleil est re- 
présenté avec le bonnet phrygien et la couronne 
héliaque. C'est là tout ce qui reste d'un culte qui 
faillit conquérir l'Occident et disputer au christia- 
nisme l'empire des âmes (1). 



Il est facile de démêler à distance les causes de 
cette défaite, et pourquoi le mithriacisme dut céder 
à une religion supérieure, qui répondait mieux que 
lui aux aspirations du présent et aux besoins de 
l'avenir. 

Préoccupé de pureté, au point que Tertullien 
vante à ses coreligionnaires et leur propose en 

(1) Sur cette iconographie consulter Krause, op. cit., 3"= chap.^ 
p. 207. Çéi^iè: Archéulogie chrétienne. Bayet : Vart byzantin. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 133 

exemple la chasteté des vierges et la continence des 
prêtres mithriaques, il n'a pas au même degré le 
sentiment de l'amour du prochain, la charité. 
« Celui-là est un homme du mal, dit le Yaçna^ qui 
est bon pour l'homme du mal ; celui-là est un 
homme à^asha (un vrai mazdéen) à qui est cher 
l'homme à^asha. >) Le prochain est exclusivement 
l'homme de la loi. Faire le mal à ses ennemis est, 
à la lettre, une obligation religieuse. Le mépris de 
l'infidèle a dicté parfois au législateur les pres- 
criptions les plus étranges. Le médecin qui veut 
éprouver la vertu d'un remède, doit d'abord l'expéri- 
menter sur un adorateur des dewas ; c'est seulement 
après trois cures vérifiées, qu'il le recommandera à 
un mazdéen. Rien n'est moins chrétien que ces pen- 
sées. Sans doute, au cours des siècles et au contact 
de la civilisation romaine, cet exclusivisme intrai- 
table, cette rigueur égoïste durent se modifier et 
s'adoucir. L'amour du genre humain a remplacé le 
préjugé étroit de la cité. Les cœurs se sont ouverts 
à la conception d'une humanité, dont tous les mem- 
bres sont solidaires. Le stoïcisme qui a laissé non 
seulement sur les lois, mais aussi sur les cœurs, une 
empreinte si profonde, reconnaît et proclame la 
fraternité humaine. Mais, chez les stoïciens même, 
la charité du genre humain n'est pas l'amour absolu 
de son semblable ; elle est un fruit de la raison, elle 
dérive de l'harmonie du cosmos, de la correspon- 
dance et de la dépendance de toutes les pièces de 
cet univers. Elle descend du cerveau dans le cœur; 
elle ne s'épanche pas spontanément comme une 

Gasquet. — Milhra. 1^ 



134 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

source naturelle d'un foyer brûlant d'amour. 
Son austérité même et sa rudesse furent pour le 
mithriacisme un principe de faiblesse. La rigueur 
de sa doctrine plus encore que la difficulté de ses 
épreuves dut rebuter bien des âmes. Tout un monde 
de sentiments semble lui être fermé. S'il n'exclut 
j pas la femme de ses mystères, il ne lui fait aucune 
j place dans son dogme religieux. L'élément féminin 
en est absolument proscrit. C'est là son originalité 
unique entre toutes les religions de l'antiquité. 
Celles-ci, môme les plus spiritualistes, traînent 
toutes après elles, comme une gangue tenace, dont 
elles ne peuvent se déprendre, l'obscénité des vieux, 
cultes naturalistes. S'être affranchi de cette conta- 
gion fut sans doute un incontestable mérite pour la 
religion de Mithra. Mais aussi elle ne connut ni 
la majesté de la douleur maternelle, telle qu'elle 
s'exprime dans le marbre de.Déméter du British 
Muséum, ni la tendresse passionnée et les élans 
mystiques, que sut inspirer Isis à ses dévots. Rien 
n'égale dans l'antiquité la suavité pénétrante et 
persuasive des paroles de la déesse à Lucius, dans 
le livre d'Apulée. C'est par là que ce culte prit les 
cœurs et conquit si fortement les femmes dans la 
société romaine. Autant Mithra fut bien inspiré, 
au début de sa carrière, en consommant son brusque 
divorce avec les divinités sensuelles d'Assyrie et de 
Babylone, autant le fut-il mal, en rejetant de l'héri- 
tage du paganisme, qu'il recueillait à ses derniers 
jours, son legs le plus précieux. Le christianisme 
au contraire eut l'inappréciable fortune de trouver 



liSSAr SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. i3^ 

dans son berceau le culte de Marie, à la fois Vierge 
et Mère, plus pure que Déméter et qu'Isis, comme 
elles mère de douleurs et consolatrice des affligés. 
Ce culte point déjà dans les évangiles de Luc et de 
Jean ; il se propage par les apocryphes et les gnos- 
tiqucs, jusqu'au développement prodigieux qu'il 
prend, vers la fin du v" siècle et après le concile 
d'Éphèse. 

Le mithriacisme dut une part notable de sonsuceès 
à sa facile adaptation au, paganisme gréco-romain; 
mais le paganisme condamnél'entraîna danssaruine. 
Dès le début, il entre de plain-pied dans le pan- 
théon religieux de Rome; non seulement il s'accom- 
mode du voisinage des divinités de l'Olympe grec ; 
mais, à leur déclin, il en vient à les protéger et à les 
envelopper du prestige de sa jeune gloire. Si elles se 
perdent et s'effacent en lui, il aliène par leur absor- 
ption quelque chose de sa personnalité. 11 prend à 
son compte quelque chose de leur renommée 
fâcheuse et de la juste impopularité qui les atteint. 
Après avoir profité des faveurs du culte officiel, 
il souffre des compromissions que ce culte lui im- 
pose. A la fin, il lui devient impossible de se dé- 
gager , il reste le prisonnier et la victime de ses 
protégés. 

Conséquence plus grave encore. Le chrétien ne 
connaît que son Dieu; ce Dieu jaloux ne permet 
d'adorer que lui seul. Plutôt que d'encenser les idoles 
le chrétien brave l'horreur des supplices ; dans 
l'ardeur de sa foi, il puise la force de résister à la 
douleur et de mépriser la mort, sûr que son sang 



136 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

répandu lui vaudra des récompenses éternelles. Loin 
de craindre le martyre, souvent il le provoque pour- 
avoir la gloire de confesser sa foi. Plusieurs empe- 
reurs et surtout les princes syriens, ne nourris- 
saient aucune hostilité contre le christianisme ; et 
Alexandre Sévère faisait au Christ une place dans 
son oratoire. On ne demandait aux chrétiens que la 
tolérance des autres cultes et la reconnaissance du 
culte d'Etat, sur lequel était fondé l'empire. Mais 
ils se refusèrent à toute concession, à tout partage ; 
ils s'enfermèrent dans une intransigeance qu'auciine 
persécution ne put entamer, et ils durent de 
vaincre à cette obstination. S'ils avaient cédé, s'ils 
avaient accepté de figurer parmi les religions subor- 
données à l'État et de reconnaître sa divinité, le 
Christ aurait suivi la fortune de Zeus, de Sérapis 
ou de Mithra. 

Le mithriaste au contraire n'est jamais exclusive- 
ment milhriaste.. Mithra n'est pas un Dieu jaloux. 
Il souffre que ses fidèles adressent leur encens à 
d'autres autels, que les initiés de ses mystères 
demandent à d'autres mystères les secrets du salut. 
Il est plusieurs chemins, dira Symmaque, pour par- 
venir à la vérité ; chaque culte propose le sien, et 
l'homme avisé les pratique tous, pour que la vérité 
ait moins de chance de lui échapper. C'est ainsi 
qu'Apulée se vantait déjà, de son temps, d'avoir reçu 
les initiations de tous les mystères connus. Son 
exemple fut suivi. Il semblait que l'on prît autant 
d'assurances contre les terreurs d'outre-tombe. Les 
inscriptions mithriaques nous révèlent les plus sin- 



ESSAI SUR LE, CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITORA. d37 

gulières associations de dévotions, sans doute éga- 
lement efficaces. Agoriiis Preetextatus, le grand 
prêtre de Mithra, le héros des Saturnales, cumule 
les sacerdoces les plus divers. Il est quindécemvir. 
pontife de Vesta, hiérophante d'Isis. Sa femme, 
Aconia Paulina, se félicite d'avoir été initiée aux 
mystères d'Eleusis, à ceux de Bacchus, de Cérès et 
de Cora, au Liber des mystères de Lerna, à Isis et 
à l'Hécate d'Egine. Symmaque, un des derniers et 
des plus sincères défenseurs du paganisme, est 
pontife de Vesta et du Soleil, curiale d'Hercule et 
isiaque. Bien plus, le dernier hiérophante d'Eleusis 
est en même temps grand prêtre de Mithra. Tous 
les interlocuteiirs du dialogue de Macrobe, et l'on 
peut dire la plupart des membres de la haute aris- 
tocratie romaine ont la foi aussi large et aussi 
éclectique. Mais qu'attendre de la fermeté d'une foi 
qui admet à ce point le partage? Entre tous ces 
dieux, lequel chérir d'un assez ardent amour pour 
lui faire le sacrifice de sa vie ? Le véritable amour 
est exclusif. On ne meurt pas pour des dieux col- 
lectifs ; on ne meurt que pour un seul. C'est pour- 
quoi le paganisme expirant ne compta que des 
martyrs involontaires, victimes du fanatisme popu' 
laire où de l'intolérance du pouvoir. 

Allons plus loin. Quel aliment pouvaient bien offrir 
aux âmes, quelle prise au sentiment et à ce besoin 
d'abnégation et de sacrifice, qui est le meilleur de 
nous-mêmes, ces religions importées d'Orient, et 
pourtant si supérieures par leur faculté d'émotion 
aux dieux d'Homère et à ceux du Latium ! Gomment 

12. 



138 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA. 

pour l'adepte se dissimuler qu'il était la dupe volon- 
taire d'une fiction? Les pleureuses d'Adonis elles- 
mêmes, leur délire hystérique une fois passé, pou- 
vaient bien aimer leur ivresse et en savourer le 
délice; mais leur illusion était de courte durée, et 
un regard jeté sur l'astre rayonnant à la voûte du 
ciel suffisait à les rassurer sur l'aventure de leur 
dieu. Le taureau mithriaque, à la fois symbole dés- 
instincts matériels vaincus et emblème du soleil 
succombant aux morsures de l'hiver, devait avoir 
moins de vertu encore pour s'emparer des âmes. 
Comment s'échauffer pour une froide allégorie mo- 
rale et pour une fiction astronomique ?- Ce deiis^ 
certus^ dont les yeux constataient l'évidence, dont 
l'évolution régulière s'accomplissait au jour et à. 
l'heure marqués, rassurait la raison, mais ne tou- 
chait pas le cœur. Jésus sanglant, cloué sur la croix» 
victime volontaire offerte pour le rachat de l'huma- 
nité, était une réalité autrement efficace et acces- 
sible. Ce drame tout humain remuait autrement 
le cœur que le drame céleste des religions solaires. 
Ces souffrances trouvaient un écho dans .toutes les 
souffrances humaines. 

Toutes les religions antiques s'organisent, à la fin de 
l'empire, sur le modèle des mystères grecs ; chacune- 
a son enseignement secret, ses symboles à double 
et à triple sens qu'on ne découvre qu'avec précaution 
et à longs intervalles aux initiés et dont quelques- 
uns restent comme le privilège des seuls pontifes. 
La religion, comme du reste la philosophie néo- 
platonicienne, craint le grand jour et fuit les- 



ESSAI SUR LE, CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 13& 

oreilles profanes. Elle ne trouve pas de voiles- 
assez épais pour s'envelopper et dérober ses ar- 
canes. La vérité ne doit être que le privilège d'une 
élite. Seul le christianisme répudia le principe des 
initiations longues et difficiles; il n'admit que le 
stage nécessaire du catéchuménat. Un instant, il 
est vrai, l'on put craindre qu'il ne versât dans 
l'ornière de cette imitation. Les chrétiens d'Orient,, 
surtout les docteurs de l'Egypte, essayèrent de 
l'engager dans cette voie. Clément d'Alexandrie et 
Origène abondent en déclarations formelles sur 
la nécessité d'une discipline secrète et sur la 
gnose chrétienne. On affecte de décrire le mystère 
chrétien avec les termes mêmes usités dans les ini- 
tiations de Déméter ou d'Isis (1). Les révélations- 
mystérieuses dont l'on est dépositaire, « on ne peut 
les découvrir dans leur nudité et leur intégrité qu'à 
Aaron ou au fils d'Aaron ». Christ a voulu sa doc- 
trine obscure, « c'est pourquoi il l'a voilée par des- 
figures, enfermée dans les sacrements ». Le bon 
sens de l'Occident réagit heureusement contre ces- 
tendances, absolument contraires d'ailleurs à l'esprit 
de l'Evangile. « Chez nous, dit Tatien, ce ne sont 
pas seulement les riches qui ont accès à la sagesse. 
Nous la distribuons aux pauvres et pour rien. Qui 
veut apprendre, peut entrer (2)! » 

Nous touchons là au point capital qui explique le 
succès de la propagande chrétienne. Même les cultes 

(1) Clem. Alex., Locjo^ ■prolre-pt.,c. xii. Origène, 7n num. hom.f 
5, 1. Petrus Chrysologus, à'ej-m. 12G. Voir Anrich, oj!7. cit. 

(2) Tatien : Adv.. Grœc, 32, 



140 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 

orientaux n'avaient pas réussi à créer une religion 
populaire. Seules les classes élevées et instruites se 
faisaient initier et avaient part aux mystères. Le peu- 
ple gardait ses croyances puériles ou se ralliait aux 
basses superstitions entretenues par les galles men- 
diants, les métragyrtes et les magiciens, qui pullu- 
laient dans les grandes villes et couraient les campa- 
gnes, faisant, malgré les lois, commerce public de 
leurs recettes, de leurs horoscopes et de leurs amu- 
lettes pieuses. J'avoue même avoir quelques doutes 
sur le degï'é de popularité de Mithra. Les monuments 
mithriaques, si nombreux qu'ils paraissent, ris- 
quent de nous renseigner imparfaitement. Ils sont 
nombreux, à Rome, à Milan, à Naples; surtout ils 
abondent sur toute la ligne de frontière de l'empire 
et la jalonnent, de la Transylvanie aux bouches du 
Rhin, marquant la place du cantonnement des lé- 
gions. Mais les trente-sept temples relevés à Rome 
ne sont guère que des chapelles, en y com- 
prenant même le mithrœon du Capitole. Rien qui 
rappelle ou fasse pressentir la basilique chrétienne, 
capable de contenir des multitudes et qui va bien- 
tôt devenir un forum. Par le caractère de son en- 
seignement, son système d'épreuves et de grades, 
par l'abstraction savante de ses symboles, le mi- 
thriacisme nous parait surtout une religion de let- 
trés et de soldats. En dehors des cantonnements 
des légions, rien n'indique qu'il ait profondément 
pénétré les populations. Le peuple n'en retint que 
de vagues formules et des habitudes d'esprit qui 
furent lentes à déraciner. Le christianisme fut de 



ESSAI SUR LE^CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. Itl 

«uite la religion populaire, celle des humbles, des 
simples, celle surtout des souffrants, de tous ceux 
que la religion officielle écartait et froissait par son 
orgueil cruel et la morgue de ses préjugés. Rien 
n'est' plus étranger à la culture antique, rien ne 
révolte davantage Celse et ses contemporains, que 
la prédilection de Jésus pour les misérables, les en- 
fants, les pécheurs et les courtisanes. Le nouveau 
royaume de Dieu lui parait un paradis de gueux. 
Qu'un vil esclave, échappé de l'ergastule, un con- 
damné de droit commun puisse, dans les destinées 
d outre-tombe, prendre le pas sur un patricien délicat 
ei lettré, sur un philosophe nourri de la sagesse 
grecque, cette prétention le soulève d'indignation 
et de mépris. Au fond c'est là sa principale objec- 
tion au christianisme (1). Il n'a jamais compris ni 
« l'éminente dignité du pauvre », ni ce que peut 
contenir de tendresse, de reconnaissance et de mys- 
tique amour, une aine humiliée par la faute et qui, 
par le pardon, s'ouvre au repentir et à la réhabili- 
tation. « Vos docteurs, écrit Origène, quand ils par- 
lent bien, font comme ces médecins qui gardent 
leurs remèdes pour les riches et négligent le vul- 
gaire (2). » Et mieux encore saint Augustin : « Dans 
les temples, on n'entend pas cette voix : Venez à 

(1) Voir Celse, lib. III, c. xmv : « Nemo eruditus, nemo sapiens, 
neino prudens ad nos accédât; hcec enim mala ôîstimantur. Sed 
si quis est ignarus, si quis stultus, si quis insipiens, is fidenter 
veniat, etc. « Id, c. lix et c. lxii G'2 : « Cui' non missus est ad im- 
munes a peccatis ? Quid malum est non peccasse ? Quâ igitur 
causa peccatores prfefenmtur ? » Voir aussi Arnobe : Ad. Nation, 
lib. I, c. XL, et Julien : Fin des Césars. 

(2) Origène : Contra Cels., lib. Vil, 60. 



142 ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITERA.' 

moi, vous qui souffrez ; ils dédaignent d'apprendre 
que Dieu est doux et humble de cœur. Car vous avez 
caclié ces choses aux sages et aux savants et vous 
les avez révélées aux doux et aux humbles (1). » 
Pour la première fois, avec la prédication de l'Évan- 
gile, le ciel des béatitudes s'ouvrait aux pauvres 
gens. Ils se sentaient pénétrés et gagnés par la grâce 
des paroles divines, par l'aimable familiarité des 
paraboles, par cet enseignement qui, sans effort, 
insinuait à leur intelligence le meilleur de la sa- 
gesse des philosophes, flattés jusque dans leurs ran- 
cunes sociales par l'anathème jeté aux riches et aux; 
puissants (2), Jamais pareil levier ne s'offrit à une 
religion pour soulever le monde et le renouveler. 
Oui ! tout avait été dit, tout avait été trouvé par 
les sages du paganisme — ou presque tout. La 
forme même des dogmes chrétiens, « leur figure »^ 
comme s'exprime Bossuet, n'était pas étrangère aux 
religions antiques. Les plus instruits des chrétiens 
reconnaissent eux-mêmes, dans les pensées des phi- 
losophes, dans Socrate, dans Pythagore^ dans Pla- 
ton, comme un avant-goût de la vérité révélée par 
le Christ. C'est Dieu lui-même qui éclairait leur 
intelligence et les chargeait de préparer ses voies. 
« Par tout ce qu'ils ont dit de bien, ils nous appar- 
tiennent », écrit Justin (3). A ce point de vue, la 
thèse de Havet reste vraie dans son ensemble. Mais^ 



(1) Saint Au?., Co7ifess., ]ib. VII, c. xxi. 

(2) Voir le récit de la conversion deTatien par lui-même, Orai.f 

c. XIX. 

(3) Justin, Apoloff., II, 13. 



ESSAI SUR LE CULTE ET LES MYSTÈRES DE MITHRA. 143 

comme l'explique l'un d'eux, autre chose est de dé- 
couvrir, du haut d'un arbre, un sentier au sein d'une 
immense forêt ; autre chose d'ouvrir la route toute 
grande et d'y marcher. Autre chose de tenir la vé- 
rité dans sa main fermée et de la jeter à mains 
pleines, comme la graine aux sillons. Tout avait 
été dit — mais sous une forme populaire, le ton et 
l'accent de l'Evangile, rien ne l'avait égalé. Le charme 
môme de Platon paraît, par comparaison, trop intel- 
lectuel ; il s'abandonne, trop épris, à l'enthousiasme 
de sa dialectique. C'est par le sentiment plus que 
par la raison que se prennent les hommes, et le suc- 
cès d'une religion est une victoire sur les âmes. 

(1) August., Confess., YII, 21. 



TABLE 



Avant-Propos - v 

I. — Le Culte et les Mystères de Mithra 1 

IL — Les origines 13 

III . — Les Doctrines "86 

IV. — Les épreuves et les grades 89 

Y. — Succès et décadence du Mythriacisme 101 



S48i-99. — CoRBEiL, Imprimerie Éd. CrÉtb. 

13 










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